« Au fond des forêts du Siam, j’ai vu l’étoile du soir se lever sur les grandes ruines d’Angkor » (Pierre Loti)
 
 


 Nous voici au Cambodge depuis deux semaines déjà.

Dès 7 h  du matin le 19 novembre nous étions au poste frontière afin d’éviter les longues heures d’attente promises. En fait il y avait bien plus de monde entrant en Thaïlande que sortant. Des habitués qui poussaient ou tiraient des charrettes surchargées de ballots de marchandises en direction du marché frontalier à deux km de là. ¾ d’heure plus tard nous faisions nos premiers tours de roues sur le sol cambodgien, non sans avoir changé nos rétroviseurs de côté puisque ici, officiellement, la circulation se fait à droite. En fait chacun roule à peu près où il veut, à l’Indienne et au klaxon. Quant aux rétroviseurs, si je regrette de ne pas en avoir deux, les rares motocyclistes locaux qui en possèdent un l’ignorent ou ne savent pas à quoi il sert. Les nombreuses voitures particulières – très peu de pick-up – doublent et klaxonnent pour écarter la plèbe à deux roues et à pied. Les deux roues roulent à gauche, à droite ou au milieu sans conscience du danger. Quant aux camions, ils foncent et déboulent, klaxon bloqué , en plein village, en pleine piétaille. Ces premiers 50 km furent éprouvants. Nous n’avions pas encore prit le rythme.
Si ces derniers jours en Thaïlande nous avons vu de nombreux serpents écrasés sur la route qui nous ôtaient toute envie d’aller faire pipi dans la nature, celui qui traversa devant nous ce matin là était un beau spécimen. Et tout près, des enfants couraient pieds nus sur la terre battue, tout contents de nous faire signe bonjour.
A mi-chemin, dans une bourgade du bord de la route, nous faisions une halte café. Le café nous fut servi dans un verre : 2/3 de café noir très épais et 1/3 de lait concentré sucré. Nous étions assis à une table de gargote, les pieds dans les déchets et les papiers. J’avais oublié ce trait commun avec la Chine. La soupe de midi, prise sous la halle du marché de Sizophon, était copieuse et délicieuse, accompagnée d’un verre de thé sur glaçons, les pieds dans le même environnement que décrit précédemment. 
Nous devions nous familiariser avec la monnaie locale, le Riel, qui nous fait payer les bols de soupe 2X500, soit 10 000 Riels. Il y a un problème de 0 dans cette histoire. Et avec tous ces milliers nous avons l’impression de tout payer très cher, « des milles et des cents» auraient dit nos grands-parents. Les hôtels, eux, affichent les prix en US$. Les Cambodgiens jonglent avec les devises. Vous payez en Dollars, ils vous rendent la monnaie moitié dollars-moitié riels, sans besoin de calculette. 1 $ = 4 000 Riels, 1 € = 5 000 Riels ou 1,20 $. Facile ! Quand je pense que dans notre pays certains ne sont pas encore passés à l’Euro, on en connaît même qui en sont encore aux anciens francs !
 
Jeudi 20 novembre 2014 – Bantey Chmar 
Réveil à 5 h. Musique, puis blablabla religieux ou politique, ce qui revient au même. C’est parti pour une journée d’abrutissement populaire. 
Nous prenions joyeusement et courageusement face à un bon vent du nord la route de Bantey Chmar, de village hurlant en village hurlant. 60 km, pas la mer à boire. A peine à mi-chemin il n’y eut plus qu’une piste défoncée, poussiéreuse à souhait (chaque passage de camion était un bonheur), tantôt gravillonnée, tantôt ensablée, surtout les cinq derniers kilomètres où il fallut pousser les vélos à plusieurs reprises. Le vent avait amené des nuages toute la matinée mais maintenant le ciel se dégageait et il commençait à faire chaud, avec une lumière blanche.
Au BCT (centre de tourisme local) nous demandions une chambre. Un coup de fil, un aller-retour en mobylette et bientôt le jeune délégué nous pilota à travers le village jusqu’à une maison particulière. La maison, comme toutes les autres, comportait un rez-de-chaussée en béton, les chambres de l’étage étant en bois. Je ne demandais, après cette route éprouvante, qu’une douche et une sieste. La douche, je l’eus, dans la salle d’eau rustique commune, mais la sieste c’était impossible pour deux raisons. Premièrement il faisait une chaleur étouffante sous le toit de tôle, le ventilateur ne pouvant fonctionner que lorsque l’électricité municipale serait mise en route à la nuit tombée. Deuxièmement il y avait une « party » dans le voisinage et le bruit de la sono n’était pas tenable, pour ça il y a toujours des générateurs.

"Il est 19 h 30. L’électricité ayant été branchée dans le village pendant le dîné, je peux reprendre mon récit interrompu faute de lumière suffisante. Avec quelques difficultés toutefois pour me concentrer, la sono du temple, grâce à la fée électricité, animant la soirée très fortement d’une musique de discothèque, avec mixage de sons psychédéliques et de cris,  volume poussé au maximum. Tout le village en profite. J’ai voulu mettre les boules Quies, ayant oublié que je les avais déjà. La petite famille chez qui nous logeons termine son repas dehors, tranquille. Ils sont sourdingues ma parole ! 
Donc, dans l’après midi nous nous promenions dans le village aux maisons construites pour la plupart de planches disjointes, par des rues de terre battue et très défoncées, jonchées de détritus. Une ribambelle de loupiots joue dans les cours, et de nombreuses petites sœurs gardent les encore plus petits frères.Tout est envahi de poussière mais pendant la saison des pluies j’imagine les ornières  remplies de boue. Dans les cours s’alignent de gros réservoirs  qu’un camion citerne vient remplir à la demande d’eau puisée dans l’étang voisin. Mieux vaut ne pas boire l’eau du robinet et il n’y a pas, comme en Thaïlande, de fontaine d’eau potable au coin des rues. Bien que tous les jeunes soient habillés de jeans moulants et de Tshirt comme dans le monde entier, nous retrouvons sur quelques femmes la jupe longue nouée à la taille et la chemise à manches longues, tenue laotienne et birmane. Les enfants sont sortis de l’école, tous vêtus du pantalon noir pour les garçons et de la jupe plissée noire ou bleu marine pour les filles et chemise blanche. Pendant les heures de classe des amalgames de bicyclettes sont garés sous le grand arbre qui ne manque jamais sur la pelouse de récréation, récréations d’ailleurs animées de chansons de variétés diffusées par haut-parleurs. Les ouvriers paysans sont rentrés au village, assis dans des remorques tirées par des espèces de motoculteurs. Un troupeau de petites vaches blanches avec leurs veaux est rentré aussi, poussé lentement par son vacher. Nous étions pas mal regardés. Les touristes qui passent plus de quelques heures au village sont assez rares – la plupart vont directement au temple et repartent deux heures plus tard -, mais ils sont encore moins nombreux à arriver ici à vélo.
Au centre du Tourisme nous fut servi un dîner délicieux, simple et copieux. Il y avait là également trois Néerlandais. Je suivais en anglais la conversation entre l’un d’eux et le jeune employé du CBT. Le jeune racontait  les bombes autour du village, les nuits passées dans des abris, les voisins morts, sa maison incendiée, puis la fuite avec sa famille vers un camp de réfugiés de Battambang. C’était en 1991. En 1993 les derniers Khmers Rouges de la région de Bantey Chmar furent exterminés, le dernier bastion, plus au Nord Est ayant tenu jusqu’en 1998. Il y a 16 ans seulement…. 
Et maintenant je me pose la question : « A quelle heure les Cambodgiens se couchent-ils ? » Faut vraiment être maso pour rester deux soirs ici.
A 10 h coupure de courant. Nuit d’encre et silence des humains. Les chiens peuvent s’en donner à cœur joie." 
 
Réveil tonitruant à 5 h du matin par la sono et les harangues du temple qui durèrent jusqu’à plus de 8 h. Il faudra s’y faire, c’est ainsi dans tout le Cambodge. Je me levais avec mal à la tête. Petit déjeuner au restaurant du coin – une assiette de riz avec un œuf – et nous passions au bureau du tourisme payer notre nuit et prendre congé. Nous ne passerions pas deux nuits ici. La visite du temple nous retint moins longtemps que nous le pensions. Les travailleurs ont certainement abattu un gros boulot de défrichage mais il n’est guère possible de s’aventurer dans tous ces éboulements de pierres envahies de végétation. Et l’on réalise alors le formidable travail qui a été fait pour transformer Angkor en un parc de promenade. Je pensais aussi à André Maire et ses confrères dessinateurs qui œuvraient dans un chaos de pierres et de végétation exubérante abritant toutes sortes de bestioles. Quelques belles surprises tout de même à Bantey Chmar, le plus beau étant le grand mur de façade couvert de frises.
A 10 h nous reprenions la piste, en pleine chaleur, soleil en face. J’avais l’impression de fuir les villages pauvres pour aller me réfugier dans mon hôtel 3 étoiles – pas plus cher que la piaule basique obtenue hier d’ailleurs. Mais c’est leur vacarme que nous fuyions. N’ont-ils échappé à l’horreur que pour accepter complaisamment la dictature par le bruit ?
N’acceptez jamais les bonnes idées de haut-parleur pour mieux vous informer, caméras pour mieux vous protéger, et toute autre amélioration municipale, outils pervers d’abus de pouvoir. Que notre liberté de pensée d’Occidentaux est fragile ! Soyons vigilants pour la conserver.

Samedi 22 novembre - Siem Reap – 100 km
Frais et dispos après une nuit très calme, terminée en fanfare à 5 h bien évidemment. Super ! Pas besoin de réveil. Pas moyen de s’en protéger, les haut-parleurs étaient placés au sommet de la colline afin de mieux arroser toute la ville.
Route plate avec un petit vent de côté entre des rizières à l’infini. Nous faisions une pause « café glacé » vers 9 h, une autre « soupe de nouilles » peu avant midi et arrivions à 15 h à Siem Reap, protégés de la chaleur par quelques nuages. Sur la route nous croisions, doublions et étions doublés par des motoculteurs livreurs de meubles, marchands de vaisselles, de paniers, une mobylette avec un cochon dans sa  carriole, une autre avec trois cochons ficelés derrière le conducteur, des écoliers à vélo. Une femme faisait de grands signes avec une bouteille en plastique à la main. Je me demandais bien à qui elle pouvait faire signe, à un bus peut-être ? C’était à nous. Je le compris en pilant devant une file de canards qui sortait de la marre pour traverser. Un peu plus nous mangions du canard bâclé. Toutes sortes de petites scènes, de choses vues, passent ainsi devant nos yeux, trop vite pour être fixées par l’appareil photo.
 
A Siem Reap nous retrouvions la même circulation bordélique qu’il y a sept ans. Aucune règle pour les deux roues, c’est du grand n’importe quoi. On roule en contresens, coupe les carrefours, s’arrête sans jeter un œil dans le rétro, double pour couper la route aussitôt après. Idiot de rouler à droite quand on sait que l’on doit tourner à gauche 100 m plus loin ! 

« Au fond des forêts du Siam, j’ai vu l’étoile du soir se lever sur les grandes ruines d’Angkor » (Pierre Loti)
Que soit à Istanbul, sur l’île de Pâques ou à Angkor, le monde de Loti n’est plus. Pas de nostalgie inutile. Nous aurions vécu à l’époque de Pierre Loti, nous ne nous serions sûrement pas promenés comme nous le faisons sur nos vélos. D’abord, les vélos de l’époque étaient bien trop lourds !
Il y a 103 ans exactement (fin novembre 1901), alors que notre auteur de référence se promenait sur le site d’Angkor, il y avait moins de monde, mais plus de végétation et de bestioles plus ou moins agréables. Aujourd’hui c’est la foire dans les temples. Et le bruit, les appels incessants des marchands du temple, le va et vient de tous ces touristes, leur comportement infantile  - dans l’enceinte du  Ta Phrom et dans le  Bayon c’était carrément une ambiance de fête foraine – ajouté à la chaleur et au piétinement pour admirer les frises, c’est absolument crevant. Levés dès avant 6 h, partis de l’hôtel sur nos vélos, en pleine circulation, quand nous avons passé huit heures dans le site, nous ne pensons plus qu’à rentrer prendre une douche et nous affaler sous le ventilateur. La saison des pluies s’éternise et il tombe de grosses averses orageuses dès le début de l’après-midi qui nous bloquent à l’abri d’un portique ou d’une galerie de temple. La température n’en est pas rafraîchie pour autant car ensuite le soleil réapparaît et chauffe le sol détrempé. L’atmosphère se transforme alors en étuve et l’on se croirait dans une cocotte-minute. C’est le coup de chaleur et de fatigue assuré. Mais ne  nous plaignons ps, nous voyons des merveilles et dans les temples secondaires, un peu - à peine - plus loin, il y a déjà moins de monde.
Nous allions jusqu’au temple de Bantaey Srei à vélo – 35 km de route ombragée passant par des villages producteurs de meubles et objets en rotin et de sucre de palme. Devant les étals qui s’alignent, tous semblables, sur le bord de la route, fument les chaudrons dans lesquels cuit pendant des heures la partie charnue des petites noix de coco produites par ces palmiers typiques à la houppe en forme de roue. Le temple rouge de Bantaey Srei, construit au IXème siècle, paraît bien petit à première vue. Avons-nous pédalé si longtemps pour ça ? Et puis l’œil en perçoit bientôt toute la grâce, la finesse des ciselures et frises qui en couvrent chaque mur, chaque tympan, chaque colonne, chaque pierre. Et on imagine la forêt dans lequel ce petit bijou était enfoui, ruines de pierres éparses et brisées, parmi lesquelles Malraux et sa femme sciaient une de ces merveilleuses petites Apsaras un jour de 1923. Allons ! N’aurions-nous pas été tentés nous aussi ? A cette époque, c’était la mode ! Tout le monde se servait allègrement et le trafic d’antiquités marchait bien. Tout était tellement enfoui dans la végétation, semblait si oublié qu’une figurine de plus ou de moins ne dérangerait personne. Malraux eut la malchance d’être pris et de servir d’exemple. On parle peu dans cette histoire de sa femme Clara qui, rapatriée pour cause de maladie, se démena et alerta tous les intellectuels et artistes français pour le sortir de la prison de Phnom Penh.

Quand nous n’allons pas vers les temples, nous faisons un tour en ville, près du vieux marché qui ne manque pas de scènes colorées, nous attardons auprès des expos photos installées sur les bords de la rivière (c’est le festival de la photo à Siem Reap en ce mois de novembre). Nous avons trouvé notre cantine du midi où, pour 2$ chacun, nous mangeons le repas des employés de bureau, typiquement cambodgien : une soupe de légumes, un petit plat de légumes et viande coupée menue, du riz à volonté, et un dessert généralement un peu bourratif, à base de potiron, patate douce ou riz sucré agrémenté de haricots rouges. Les plats sont généralement peu pimentés, contrairement à la cuisine thaïlandaise, piment, ail, citron vert et sauce forte étant servis comme accompagnement dans des coupelles. Après un repas aussi copieux il est urgent de rentrer faire la sieste, surtout avec le gros rhume et le mal de gorge dont je souffre en ce moment. A titre curatif pour moi, préventif pour Daniel, nous buvons des infusions de gingembre au citron et miel, avec obligation de croquer le gingembre.
Nous reprenons la route demain pour Phnom Penh, à suivre.

Le gang des Tuppin

En voyage il faut  savoir passer incognito...

 

 

 

 

 

 


Et ce fut nos premiers kilomètres de cette route n° 6 , à deux voies et aux accotements défoncés, qui devait en un peu plus de 300 km soit quatre jours de route nous mener jusqu’à Phnom Penh.

Vu sur la route :

- au milieu de nulle part, un alignement de marchandes de « gâteaux bambou » sur deux kilomètres. Le « gâteau bambou » consiste en un petit tube de bambou rempli de riz gluant aux haricots rouges cuit à l’étouffé sur un brasero de charbon de bois. Ainsi pourrons nous voir parfois un kilomètre de vendeuses de noix de coco, puis encore près d’un village par exemple un ou deux kilomètres de stands de brochettes de poulets, ou encore de hamacs tous pareils. On dirait que, si quelqu’un a eu une idée, tout le monde fait la même chose. Aussi ne jamais remettre à plus tard l’achat de ce que l’on voit au moment présent sur la route car, après, c’est fini, on n’en retrouve plus nulle part.

- une charrette attelée de deux bœufs dont la roue se cassa net sur la route. Frôlé par les bus, camions et mobylettes, le conducteur adolescent et le gamin qui l’accompagnait descendirent en souriant de leur charge de foin, dételèrent les petites bêtes blanches et les mirent à la pâture sur le bas côté de la route. Nous ne saurons pas la suite, devant reprendre notre chemin ;

- un homme accroché après le haillon d’un minibus lancé à plus de 100 km/h ;

- un autre minibus prévu pour 8 passagers d’où s’extirpèrent plus de vingt personnes, mais cela nous l’avons vécu « de l’intérieur » lors d’un précédent voyage ;

- un pont du 12ème siècle à 19 arches, long de presque 100 m et large pour le passage de deux voitures. Ce pont sur l’ancienne route d’Angkor au delta du Mékong sert toujours même s’il est désormais autorisé aux seuls deux roues.

- Il y a aussi dans les villages, sur le bord de la route, des panneaux éducatifs montrant un homme armé d’une mitraillette qui part et les femmes et les enfants qui se dirigent vers le temple, ou bien un homme qui tape sur sa femme devant les enfants apeurés, ou encore une femme qui lave les mains d’un enfant avec du savon. Nous ne comprenons bien sûr pas la légende mais l’image est assez explicite. Il y a aussi des panneaux de la Prévention routière, payés par l'Australie, incitant les motocyclistes à porter un casque.Quant aux deux ou trois panneaux rappelant les symboles de la circulation automobile, ça fait joli mais je suis sûre que personne ne sait les lire.

Alors que nous chargions les vélos vers 7 h du matin un jeune vint nous poser les questions rituelles (« which country ? Where you go ? etc.). Il était arrivé la veille au soir dans le même hôtel  que nous, à mobylette avec sa jeune femme qui se tenait le bras droit enflé. Il l’amenait à l’hôpital pour une morsure de serpent. Nous voyons souvent sur la route des gens à mobylette conduisant d’une main, l’autre main tenant la perfusion. Ils sortent du dispensaire sans doute.

Nous roulions de villages fermiers en villages agricoles. Mais si ces appellations désignent dans notre pays des bourgades constituées de gros bâtiments en pierres de taille et parfois même de demeures quasiment fortifiées, il n’en est rien ici. Une ferme, c’est une cour avec quelques poules, une meule de foin, deux vaches et parfois une charrette, et une simple case sur pilotis. La porte en est pratiquement toujours ouverte si bien qu’en passant on voit l’intérieur. Vide. Seules des nattes sont étendues sur le sol. Mais jamais l’on ne monte dans ce logis sans se déchausser. Sous la maison, entre les pilotis et à l’ombre du plancher, sont les ustensiles de cuisine, ce que nous pourrions prendre pour une grande table basse mais qui sert de lit de repos ou d’endroit où s’asseoir en tailleur pour discuter ou prendre les repas, et souvent un hamac. Le jour on vit sous la case, la nuit on se réfugie à l’intérieur. Devant la cour une mare à canards épanouit ses lotus et ses jacinthes d'eau.

Puis la route fut en réfection sur plus de 150 km, ce qui ne signifie rien d’autre qu’une piste défoncée de terre rouge avec un important trafic de bus, camions et mobylettes. Nous arrivions en fin d’étapes crevés, mal aux mains à force de crisper le guidon, et couverts de poussière rouge.

Traversé un village de tailleurs de pierre. Ils taillent de gigantesques bouddhas et, dans les déchets, font des petites sculptures. Bien entendu les gars travaillent avec un simple foulard en guise de masque, sans lunettes ni gants de protection.

 Un midi nous décidions de profiter d’une bourgade aux boutiques alignées sur le bord de la route pour déjeuner. Dans la première cantine le volume de la télévision était si fort que nous fuyions. Dans la deuxième, où il n’y avait aucun client, je demandais si on pouvait avoir un « bai cha » (riz sauté). – « With pig or beef ? » me demanda le jeune serveur. « pig » lui répondis-je. C’était clair, non ? « bai cha with pig ». Il me regarda comme si je lui avais parlé hébreu. Dans la troisième, des convives mangeaient du riz et des légumes. Nous montrions les assiettes et faisions le signe « 2 ». OK. Nous nous asseyions et nous fut apportée la traditionnelle théière et les verres de glaçons. Et nous attendions. La matrone à son wok cuisinait sans hâte, goûtant à même la louche chaque plat avant de le servir. Au bout d’une demi-heure, lassés d’attendre notre louche, nous laissions 1 000 Riels (soit 0,20 €) pour le thé et partions. Un peu plus loin sur la route nous trouvions un stand de gamelles et quelques tables où nous avalions vite fait une assiette de riz et de légumes sans trop regarder aux conditions d’hygiène. A ce sujet, les Cambodgiens sont vraiment limites.

 Nous rencontrions, à l’ombre d’un pont quelques 25 km avant Phnom Penh, un jeune couple de cyclos bretons. 


Dimanche 7- jeudi 12 décembre – Phnom Penh

 Nous entrions dans Phnom Penh vers 15 h en franchissant le grand « pont de l’amitié japonaise » qui enjambe la rivière du Tonlé Sap. Pas un pont dans ce pays qui ne soit dû à l’amitié japonaise ou australienne, à moins qu’il n’ait été bâti par les Khmers du 12ème siècle. Pas trop de circulation à cette heure et cela tombait bien car, si la circulation frôle le grand n’importe quoi sur la route et à Siem Reap, ici c’est rocambolesque. Ils arrivent à peu près à respecter les feux rouges, mais aux carrefours qui en sont démunis, c’est une chorégraphie hasardeuse de mobs et de voitures qui se croisent, s’enchevêtrent, se nouent et se dénouent, chacun allant là où il le désire, sans clignotant. Tout le monde a priorité et il n’y a pas d’autre règle semble-t-il que celle de ne jamais mettre pied à terre. 

Quand nous sommes en ville nous avons l’habitude de nous déplacer uniquement à pied. Mais à Phnom Penh ce n’est guère agréable. D’ailleurs absolument personne ne marche. Et quand, par hasard, nous croisons un autre malheureux piéton, c’est immanquablement un Occidental. La première cause est la circulation anarchique décrite précédemment qui ne laisse aucune place au piéton, la deuxième est l’occupation des trottoirs par les magasins, les cantines de rues et les véhicules qui s’y garent, la troisième c'est la saleté. Phnom Penh est une ville très sale, avec des immondices sur les trottoirs et dans les caniveaux qui finissent par pourrir et se compacter en une couche grasse, collante et nauséabonde formant comme un emplâtre à l’asphalte. Des cantines de rues installent leurs chaises et tables là, pratiquement les pieds dans cette merde à l’odeur intenable, et cela ne semble déranger que nous. 

 Point positif cependant par rapport à notre précédente visite en 2007 : il y a nous semble-t-il  moins de mômes estropiés montrés sur des chariots ou dans des poussettes pour apitoyer les touristes  ou leur vendre des livres relatant l’épisode des Khmers Rouges.


« Lu au musée de Phnom Penh (bien pauvre ce musée) que Lakshmi massait les pieds de son mec, le dénommé Vishnou, pendant qu'il pensait à la Création du Monde ! c'est-y pas beau ? Dany qui venait de rater son dessin pense que peut-être ... un petit massage par sa doudou... Non mais. Faut que les nana massent les pieds de leurs mecs pour qu'il puissent créer maintenant ? »


Vendredi 13- dimanche 15 décembre – Kampot

Deux jours de route nous permirent d'atteindre le Sud du Cambodge, dernière étape avant le Vietnam.

A un croisement de route nous rencontrions à nouveau nos deux jeunes Bretons, David et Marie. C’était pratiquement l’heure de déjeuner et deux kilomètres plus loin nous nous asseyions tous les quatre autour du « pot » puisque c’est ainsi que la jeune femme qui nous servit appela la chose. Elle commença par apporter un petit réchaud sur la table, une marmite de bouillon, une assiette de morceaux de couenne, un plat de légumes (choux, carottes et champignons principalement), deux œufs, une petite boite de lait, tout cela, nous expliqua-t-elle, à mettre dans le bouillon. En fait les convives font la soupe eux-mêmes. Enfin arriva une assiette de minuscules lamelles de viande de bœuf à faire cuire dans la soupe comme dans une fondue. Du citron, de la sauce piquante, une louche et des baguettes… Allez ! Au boulot. En fait cela fait beaucoup de tracas et d’histoire pour une soupe très ordinaire. Mais c’est conviviale et ça dure si bien que nous en profitions pour faire connaissance avec nos jeunes amis,25 et 26 ans, ( breizhbiketrip.blogspot.com)et discuter de nos parcours respectifs. Ils nous parlèrent d’autres rencontres aussi dont celle des « cyclomigrateurs », un couple de retraités partis faire le tour du monde à vélos couchés. Hier soir nous allions sur leur site (cyclomigrateurs.com)et je m’endormais troublée par tous ces gens qui voyagent en pédalant sur cette planète. Si j’étais « coincée à la maison », j’en crèverais de jalousie.

Kampot, entourée de montagnes culminant tout de même à 1 000 mètres, ne ressemble pas autres villes cambodgiennes traversées. Premièrement il y a beaucoup d' Occidentaux (la proximité de la mer ?), des bars, une promenade le long de la rivière et c'est propre ! Pas un papier par terre ! Ils peuvent donc le faire ! Le vieux quartier avec de vieilles bâtisses coloniales à arcades, la plupart croulantes, rappellent le Laos. Le temple et le muezzin se répondent. Les villages de pêcheurs alentours semblent être majoritairement musulmans. Le ciel très gris, le vent et la fraîcheur (il ne fait pas plus de 30°) sont presque atlantiques et on a l’impression d’avoir changé de pays.

Signe de prospérité due au fameux poivre de Kampot et au tourisme ? Les enfants ne sont plus ici sur de vieux vélos. On les voit se regrouper pour jouer au foot ou discuter au bord de la rivière tous en mob. Certains conducteurs n’ont pas plus de 10 ou 12 ans, avec deux ou trois copains à l’arrière. L’essence coûte pourtant 1 € le litre.

Vu dans un village des mômes tout petits jouer à la pétanque. Dernier reste de la colonisation.

Nous avons retrouvé à Kampot les leurres qui attirent les hirondelles dans des bâtiments pour qu’elles y fassent leurs nids. Et elles sont légions à tourner au-dessus de certains toits, indiquant sans faillir les maisons de Chinois qui revendront les nids précieux pour faire les fameuses soupes.

 

Dans deux jours nous serons au Vietnam et ce sera un nouveau chapitre.

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