Pour suivre notre itinéraire , cliquer ici

La Quebrada de Humuaca

"Le présent ne valait que comme source de souvenirs, fabrique de passé. Il n'importait de vivre que pour augmenter ce précieux capital de passé... (Michel Tournier)

 

Alors vamos !

 

Buenos Aires, le 25 octobre 2013

 

Arrivée à Buenos Aires Airport à 8 h du matin. décalage horaire : cinq heures. Cela fait quelque trente heures que nous avons quitté Marignane. Nous récupérons bagages et vélos emballés dans leurs grands cartons et poussons nos deux chariots débordants. Nous qui nous flattons toujours de voyager légers, c'est raté pour cette fois. Mais nous avons l'agréable surprise de voir nos grosses boites acceptées par la navette qui va en centre-ville.

 Premiers tours de roues sur le sol argentin. Il est 13h.

 Et la Grande Cyclade continue, c'est l'épisode "Les Tuppin à Buenos Aires".

 

Arrivés à l'hôtel où nous avions réservé une chambre par téléphone nous nous voyons refuser nos vélos. "Au parking public avec les voitures!" Heureusement l'hôtel d'en face nous propose de les garer dans une arrière cour minuscule où ils occupent tout l'espace en compagnie d'un seau et d'un balai, endroit bien petit pour réparer les quelques dégâts sans gravités.

 La ville de Buenos Aires est très européenne et l'on est tout d'abord un peu déçus d'avoir dû traverser tout cet océan pour retrouver la même chose qu'à Paris, la même chose qu'à Madrid, la même chose qu'un peu partout tant l'architecture a emprunté un peu à tous les styles. Seulement ici se sont les premiers beaux jours, le printemps, alors qu'en Europe l'automne tardait à s'installer. Conséquence : il fait le même temps capricieux qu'à Marseille, passant d'un doux soleil à un coup de vent froid et une ondée. Les arbres font leurs feuilles, les tilleuls et les arbres de Judée sont en fleurs et les jacarandas s'épanouissent. C'est la saison des amours. Les piafs sont fous de joie, les pigeons paradent et roucoulent dans les jardins et les amoureux s'embrassent et s'enlacent sur les bancs publics et sur les grands boulevards. Jamais vu autant de gens s'embrasser dans la rue. Nous entrions dans quelques églises et étions surpris par la fréquentation à toute heure de fidèles de tous âges venus prier ou égrener un chapelet. C'est aussi le refuge de pauvres hères qui y trouvent un abri et un banc pour dormir. Les sans logis sont nombreux à Buenos Aires.

 En fait la majeure partie de notre court séjour dans la capitale fut occupé en démarches demeurées infructueuses pour mettre les vélos dans les cales des bus pour Salta. Car les sirènes de l'altiplano nous ayant séduits nous revenons sur notre décision de descendre directement sur Bariloche. Jamais jusqu'à maintenant, que ce soit en Chine ou en Turquie ou partout ailleurs, nous n'avons eu autant de difficultés pour voyager avec nos vélos. Finalement les vélos partiront par camions cargos. J'ai l'impression d'utiliser toute mon énergie à des problèmes de logistique depuis quinze jours. Nous sommes ici en transit et le voyage proprement dit n'a toujours pas commencé.

 Pour l'instant, dans ce pays où l'on ne trouve soit-disant que de la viande à manger, nous nous en sortions bien. Nous dinions un soir d'une escalope panée de soja et de légumes vapeur, un autre d'une pizza très bonne et copieuse et le midi d'une tarte au potiron. Les cafés-salons de thé sont très nombreux et si le reste du pays est à l'image de Buenos Aires nous ne devrions pas manquer de gâteaux et desserts comme l'été dernier dans l'Est de l'Europe.

Le port de Buenos Aires

 

 
Départ de Salta, vendredi 1er novembre
 
Nous partions enfin plein Nord, par une bonne chaleur et il fallut rouler une bonne dizaine de kilomètres pour sortir enfin de la zone urbaine. Alors la route s’est rétréci, s’est mise à sinuer en remontant une rivière au large lit de graves. Nous pédalions facilement, souvent à l’ombre. C’était enfin le silence, excepté le sifflement strident et intermittent des cigales. Sur notre gauche, à l’Ouest, se dressait la masse énorme de la Cordilière. Et je repensais à ce que m’avait dit la veille un Argentin : "Vous venez de France ? Mais entre la France et l’Espagne, vous avez une montagne égale à la Cordilière, non ?"
Le petit village de La Caldera s’annonce, sur la rive opposée à la route, par un grand christ de près de trente mètres de haut, puis s’étire le long de sa rue principale.  Des maisons basses et blanches, quelques fresques très colorées, un petit office du tourisme où l’on nous accueillit très gentiment. Un grand espace ombragé sert de camping aux installations très sommaires et pas très propres. Nous commencions par boire un café et choisir notre coin, à l’ombre et loin des sonos d’un groupe de collégiens, avant de planter la tente. C’est encore un peu plus long qu’avec la précédente. Car celle que vous avez vue en photo lors de notre périple de l’été dernier avait un gros défaut : elle fuyait comme une passoire à la moindre averse. Grâce à la compréhension du magasin où nous l’avions achetée, malgré la fin de la garantie et grâce encore à un petit chèque supplémentaire, nous sommes donc partis avec un modèle de fabrication suisse, gamme au-dessus  Nous en étions à préparer une sacoche pique nique que nous pensions emporter près du lac cinq kilomètres plus loin quand il se mit à tomber quelques gouttes. Et  la tente  essuyait son premier gros orage  sans dommage. Une éclaircie de deux heures nous permit de faire le tour du village et un nouvel orage nous fit rentrer sous la tente à 19 h, alors que nous finissions notre assiette de purée. Et il plut toute la nuit, jusqu’à 10 h le lendemain matin. Dans le village errent pas moins d’une centaine de gros chiens. Ils ne semblent pas agressifs mais, comme tout bon clébard, toujours à la recherche de la connerie à faire. Pour déjeuner nous cherchions un restaurant et il fut bien difficile de trouver un coin à peu près calme, assez éloigné des musiques volume au maximum des échoppes, des bars, des trois QG des différents partis politiques, etc. On se croirait dans une rue commerçante d’une grande ville chinoise. Au camping l’ambiance était au plus haut niveau. Ils étaient quatre autour de leur tente à faire griller leur viande au BBQ, musique à fond, et parlant fort pour pouvoir s’entendre évidemment. Ils avaient déjà fait un vacarme d’enfer vers 4 h du matin alors que venaient de s’éteindre les festivités du village qui nous parvenaient de loin. Cela me fit penser au Laos, à ceci près que les Laotiens s’abrutissent de bruit avec apathie alors que les Argentins le font de façon dynamique, chantent, tapent des mains, rient à gorges déployées, hurlent, s’amusent quoi ! Jamais été chez un peuple aussi bruyant  La foire dura toute la nuit et quand le lever du jour pointa nous patientions un peu, espérant que les noceurs iraient se coucher. Mais il fallut se rendre à l’évidence, le petit déjeuner serait pris aussi dans le vacarme. Les vaches qui meuglaient tout près de la tente me dérangeaient moins. En fait quand nous quittions les lieux à 9 h la foire durait toujours. C’est qu’ils sont résistant les Argentins !
 
Les premiers rayons de soleil tintèrent la Cordillère de rose corail. Le jour s’annonçait superbe et nous enfourchions les  vélos avec plaisir. Mais nous n’avions pas fait 15 km que la chaîne de Dany sauta et il ne lui fut bientôt plus possible de passer une seule vitesse. Vélo déchargé, pneus en l’air, nous tentions de trouver le bon réglage , vainement, quand un groupe de cyclos locaux nous doubla. La camionnette d’assistance technique ne tarda pas à arriver et en dix minutes le vélo fut réparé. C’était un problème de dérailleur faussé dans les transports sans doute.  "Muchas gracias". Les deux gars étaient déjà repartis à la poursuite du peloton.
 
Et nous roulions maintenant avec joie sur une petite route sinueuse dans un décor de montagnes boisées. Au loin sur notre droite, se dessinait la silhouette bleue d’une haute chaîne de sommets. Nous traversions des petits rios et puis des hameaux de quelques fermes. Vaches et chevaux baguenaudaient sur la chaussée..A l’entrée d’un bourg il y eut, sur le trottoir, des vendeurs de tortillas, d’empanadas (petits chaussons fourrés de viande ou de fromage) et de pizzas. L’odeur de poulet grillé nous attira jusqu’à un stand où nous fut servi un demi poulet avec de la salade pour 50 Pesos. Assis à cette table bancale, mangeant moitié avec la fourchette moitié avec les mains, dans une rue bordée de maisons basses en briques, nous étions enfin en voyage.
Nous dépassions la ville de Jujuy. Toutes les villes ont leur banlieue de bidonvilles, parfois comme ici devenue "parpainvilles", avec des centaines de cases identiques  grises et coiffées de tôle. C'est plus propre mais tout aussi triste. Notre but était le camping de Yala. Nous avions hâte d'y arriver, de lourds nuages noirs assombrissant les montagnes. Et nous y trouvions la même ambiance qu'à La Caldera, mais puissance 10. Chaque petite famille ou groupe de jeunes, car l'âge ne fait rien à l'affaire, était attablé au cul de sa voiture, l'autoradio volume au maximum. On se serait cru dans une fête foraine quand chaque attraction pousse le volume sonore pour faire plus de bruit que son voisin et attirer les chalands. N'y manquaient même pas les cris du train fantôme. Nous plantions la tente le plus loin possible . A 23 h il n'y avait plus personne. Nous étions les seuls habitants du camping. Si ce genre d'ambiance doit se renouveler tous les soirs il va falloir réviser notre politique d'hébergement.
 
Lundi 4 novembre, mardi 5- Purmamarca (2200 m alt.) - 50 km
 
25 km de montée pour arriver à 2 200 m d'altitude, soit 900 m plus haut que notre point de départ. Le soleil tapait fort mais plus nous montions plus l'air était frais si bien que nous transpirions pas. Nous pénétrions dans la Quebrada d’Humahuaca (allez donc sur Google pour en voir plus), classée par l’Unesco. Nous roulions dans un univers exclusivement minéral, si l'on excepte d'énormes cactus agrippés aux pentes vertigineuses ou couronnant les crêtes. Un versant de montagne était ocre rouge, l'autre vert de gris, le troisième d'un beau brun. Et les sommets nous dominaient à plus de 4 000 m. Nous suivions cette Panaméricaine qui aurait pu nous conduire vers la Bolivie, puis le Pérou, et jusqu'en Alaska peut-être. Quelle drôle d'impression de pédaler dans cette région du monde où je ne m'étais jamais imaginée. Un embranchement sur la gauche menait à Purmamarca. Il ne restait plus que trois kilomètres à parcourir mais nous avions maintenant le vent dans le nez et la fatigue s'ajoutant je n'avançais plus. C'est alors que je commençais à me faire du souci pour les jours, les semaines, les mois à venir. Le bourg de Purmamarca est  enfermé dans ses montagnes. Maisons d'adobe roses ou brunes, église toute blanche au fond d'une grande place centrale occupée par des étals de tissus très colorés et pulls tout doux et tout chauds, tenus par des Indiens très typés  Désert, cailloux, sommets et couleurs. Le décors était magique et rude, certainement très rude à vivre. Impossible à décrire avec des mots ces massifs rocheux rouges, corail, mauve, rose, vert-bleuté, vert doré, bruns, hérissés de cactus géants. Ces cactus désormais protégés dont le bois parsemé d'alvéoles est utilisé dans les maisons comme lambris de plafond ou pour toutes sortes de pièces d'ameublement. Nous tentions quelques croquis. Ridicule.
 

Le port de Buenos Aires

 

2CV limousine

 

Salta, nord de l'Argentine

 

 

1 600 km (dont 1 400 en rase campagne)- 23 heures de bus avec seulement deux arrêts d'une demi heure. Environ 200 km avant Salta le terrain a commencé à vallonner et par la fenêtre nous avions vu sur une plaine à végétation sèche, des arbustes et des candélabres et figuiers de barbarie hauts comme des arbres. En toile de fond, la cordilière des Andes ! Nom magique dans lequel nous allions enfin pénétrer. Allions-nous vraiment pédaler dans cette chaîne monstrueuse ?

Deux jours à Salta. Cette petite ville a beau être plus vivable que Buenos Aires, c'est tout de même la ville, avec une circulation intense de 6 h à minuit (accalmie entre 14 h et 17 h), beaucoup de bruit. Les Argentins sont très bruyants, parlent beaucoup et fort, font pétarader leurs mobs, ont des sonos tonitruantes dans leurs voitures, bref ont toutes les caractéristiques des pays du Sud, y compris la gentillesse et la spontanéité. Cela faisait une semaine que nous étions arrivés et nous commençions seulement à être moins fatigués. Décalage horaire, longueur du voyage, le séjour dans la capitale, les 23 h de bus et la chaleur retrouvée à Salta ... jamais nous n'avions été aussi lents à émerger en arrivant sur un nouveau continent.
 
Dans la cathédrale locale, avec sa façade rose et sa coupole bleue.,là encore nous étions surpris par la ferveur religieuse des fidèles de tous âges et des deux sexes. On fait la queue pour toucher les pieds de Jésus, embrasser le coeur de Jésus, du monde aux confessionnaux, un autre agenouillé, les bras en croix et la tête relevée,  les yeux révulsés... La foi s'extériorise ici. Vu sur une voiture privée l'inscription : "Merci à mon Dieu, le roi des rois" et peinte sur la porte d'un taxi l'image d'une vierge à l'enfant, ce qui rassure peut-être l'éventuel passager.
Tout autour de la place ombragée se succèdent les terrasses de cafés-restaurants. Nous y mangions un plat de lasagnes farcies de légumes, poulet, jambon (impression que le cuisinier y avait mis  tous les restes du réfrigérateur), noyées sous une sauce au fromage. Pas cher (4 € /personne avec le dessert) et très copieux. Goûté également les humitos (purée de maïs au fromage cuit à la vapeur dans une feuille de maïs) et les tamales (amalgame de graines de mais et de viande également servi dans des feuilles de maïs). Des vendeurs, parfois des enfants, font le tour des tables pour proposer lots de chaussettes, chapeaux, fraises, bijoux ou feuilles de coca. Les visages de la population sont très variés, allant du blond très mince (rare), au type brun espagnol en passant par la face large et couleur pain d'épices des Indiens.
Mais le voyage n'avait toujours pas commencé. Il était temps d'enfourcher les vélos.
 
Départ de Salta, vendredi 1er novembre
 
Nous partions enfin plein Nord, par une bonne chaleur et il fallut rouler une bonne dizaine de kilomètres pour sortir enfin de la zone urbaine. Alors la route s’est rétréci, s’est mise à sinuer en remontant une rivière au large lit de graves. Nous pédalions facilement, souvent à l’ombre. C’était enfin le silence, excepté le sifflement strident et intermittent des cigales. Sur notre gauche, à l’Ouest, se dressait la masse énorme de la Cordilière. Et je repensais à ce que m’avait dit la veille un Argentin : "Vous venez de France ? Mais entre la France et l’Espagne, vous avez une montagne égale à la Cordilière, non ?"
Le petit village de La Caldera s’annonce, sur la rive opposée à la route, par un grand christ de près de trente mètres de haut, puis s’étire le long de sa rue principale.  Des maisons basses et blanches, quelques fresques très colorées, un petit office du tourisme où l’on nous accueillit très gentiment. Un grand espace ombragé sert de camping aux installations très sommaires et pas très propres. Nous commencions par boire un café et choisir notre coin, à l’ombre et loin des sonos d’un groupe de collégiens, avant de planter la tente. C’est encore un peu plus long qu’avec la précédente. Car celle que vous avez vue en photo lors de notre périple de l’été dernier avait un gros défaut : elle fuyait comme une passoire à la moindre averse. Grâce à la compréhension du magasin où nous l’avions achetée, malgré la fin de la garantie et grâce encore à un petit chèque supplémentaire, nous sommes donc partis avec un modèle de fabrication suisse, gamme au-dessus  Nous en étions à préparer une sacoche pique nique que nous pensions emporter près du lac cinq kilomètres plus loin quand il se mit à tomber quelques gouttes. Et  la tente  essuyait son premier gros orage  sans dommage. Une éclaircie de deux heures nous permit de faire le tour du village et un nouvel orage nous fit rentrer sous la tente à 19 h, alors que nous finissions notre assiette de purée. Et il plut toute la nuit, jusqu’à 10 h le lendemain matin. Dans le village errent pas moins d’une centaine de gros chiens. Ils ne semblent pas agressifs mais, comme tout bon clébard, toujours à la recherche de la connerie à faire. Pour déjeuner nous cherchions un restaurant et il fut bien difficile de trouver un coin à peu près calme, assez éloigné des musiques volume au maximum des échoppes, des bars, des trois QG des différents partis politiques, etc. On se croirait dans une rue commerçante d’une grande ville chinoise. Au camping l’ambiance était au plus haut niveau. Ils étaient quatre autour de leur tente à faire griller leur viande au BBQ, musique à fond, et parlant fort pour pouvoir s’entendre évidemment. Ils avaient déjà fait un vacarme d’enfer vers 4 h du matin alors que venaient de s’éteindre les festivités du village qui nous parvenaient de loin. Cela me fit penser au Laos, à ceci près que les Laotiens s’abrutissent de bruit avec apathie alors que les Argentins le font de façon dynamique, chantent, tapent des mains, rient à gorges déployées, hurlent, s’amusent quoi ! Jamais été chez un peuple aussi bruyant  La foire dura toute la nuit et quand le lever du jour pointa nous patientions un peu, espérant que les noceurs iraient se coucher. Mais il fallut se rendre à l’évidence, le petit déjeuner serait pris aussi dans le vacarme. Les vaches qui meuglaient tout près de la tente me dérangeaient moins. En fait quand nous quittions les lieux à 9 h la foire durait toujours. C’est qu’ils sont résistant les Argentins !
 
Les premiers rayons de soleil tintèrent la Cordillère de rose corail. Le jour s’annonçait superbe et nous enfourchions les  vélos avec plaisir. Mais nous n’avions pas fait 15 km que la chaîne de Dany sauta et il ne lui fut bientôt plus possible de passer une seule vitesse. Vélo déchargé, pneus en l’air, nous tentions de trouver le bon réglage , vainement, quand un groupe de cyclos locaux nous doubla. La camionnette d’assistance technique ne tarda pas à arriver et en dix minutes le vélo fut réparé. C’était un problème de dérailleur faussé dans les transports sans doute.  "Muchas gracias". Les deux gars étaient déjà repartis à la poursuite du peloton.
 
Et nous roulions maintenant avec joie sur une petite route sinueuse dans un décor de montagnes boisées. Au loin sur notre droite, se dessinait la silhouette bleue d’une haute chaîne de sommets. Nous traversions des petits rios et puis des hameaux de quelques fermes. Vaches et chevaux baguenaudaient sur la chaussée..A l’entrée d’un bourg il y eut, sur le trottoir, des vendeurs de tortillas, d’empanadas (petits chaussons fourrés de viande ou de fromage) et de pizzas. L’odeur de poulet grillé nous attira jusqu’à un stand où nous fut servi un demi poulet avec de la salade pour 50 Pesos. Assis à cette table bancale, mangeant moitié avec la fourchette moitié avec les mains, dans une rue bordée de maisons basses en briques, nous étions enfin en voyage.
Nous dépassions la ville de Jujuy. Toutes les villes ont leur banlieue de bidonvilles, parfois comme ici devenue "parpainvilles", avec des centaines de cases identiques  grises et coiffées de tôle. C'est plus propre mais tout aussi triste. Notre but était le camping de Yala. Nous avions hâte d'y arriver, de lourds nuages noirs assombrissant les montagnes. Et nous y trouvions la même ambiance qu'à La Caldera, mais puissance 10. Chaque petite famille ou groupe de jeunes, car l'âge ne fait rien à l'affaire, était attablé au cul de sa voiture, l'autoradio volume au maximum. On se serait cru dans une fête foraine quand chaque attraction pousse le volume sonore pour faire plus de bruit que son voisin et attirer les chalands. N'y manquaient même pas les cris du train fantôme. Nous plantions la tente le plus loin possible . A 23 h il n'y avait plus personne. Nous étions les seuls habitants du camping. Si ce genre d'ambiance doit se renouveler tous les soirs il va falloir réviser notre politique d'hébergement.
 
Lundi 4 novembre, mardi 5- Purmamarca (2200 m alt.) - 50 km
 
25 km de montée pour arriver à 2 200 m d'altitude, soit 900 m plus haut que notre point de départ. Le soleil tapait fort mais plus nous montions plus l'air était frais si bien que nous transpirions pas. Nous pénétrions dans la Quebrada d’Humahuaca (allez donc sur Google pour en voir plus), classée par l’Unesco. Nous roulions dans un univers exclusivement minéral, si l'on excepte d'énormes cactus agrippés aux pentes vertigineuses ou couronnant les crêtes. Un versant de montagne était ocre rouge, l'autre vert de gris, le troisième d'un beau brun. Et les sommets nous dominaient à plus de 4 000 m. Nous suivions cette Panaméricaine qui aurait pu nous conduire vers la Bolivie, puis le Pérou, et jusqu'en Alaska peut-être. Quelle drôle d'impression de pédaler dans cette région du monde où je ne m'étais jamais imaginée. Un embranchement sur la gauche menait à Purmamarca. Il ne restait plus que trois kilomètres à parcourir mais nous avions maintenant le vent dans le nez et la fatigue s'ajoutant je n'avançais plus. C'est alors que je commençais à me faire du souci pour les jours, les semaines, les mois à venir. Le bourg de Purmamarca est  enfermé dans ses montagnes. Maisons d'adobe roses ou brunes, église toute blanche au fond d'une grande place centrale occupée par des étals de tissus très colorés et pulls tout doux et tout chauds, tenus par des Indiens très typés  Désert, cailloux, sommets et couleurs. Le décors était magique et rude, certainement très rude à vivre. Impossible à décrire avec des mots ces massifs rocheux rouges, corail, mauve, rose, vert-bleuté, vert doré, bruns, hérissés de cactus géants. Ces cactus désormais protégés dont le bois parsemé d'alvéoles est utilisé dans les maisons comme lambris de plafond ou pour toutes sortes de pièces d'ameublement. Nous tentions quelques croquis. Ridicule.
 

 

 

Quelques pauses photos sur le bord de la route, notamment à hauteur d'une petite église blanche à coupole avec un grand candélabre. Puis une citadelle Inca sur sa colline, quelques restes de murailles se confondant avec la caillasse du sol, véritable Mycène andine.

Tilkara est un gros village de maisons basses en briques crues, certaines assez cossues et élégantes d'ailleurs. Nous nous promenions dans les rues , jetions des regards indiscrets par les fenêtres des innombrables restaurants et les portes de demeures privées entrouvertes pour apercevoir des patios souvent encombrés d'objets hétéroclites, admirions quelques jardinets de roses qui doivent demander beaucoup de soins ici, ne comptions plus les pancartes indiquant des hôtels aux chambres bien cachées derrière des façades très banales de maisons particulières. Sur la place du marché, dans les rues poussiéreuses et ventées, les silhouettes étaient trapues et les visages indiens au cuir tanné, certaines joues déformées par la boule de coca.
 
 

 

 

Nous désirions fort aller jusqu'à Iruya, village en cul de sac 120 km plus au nord. Mais impossible d'imaginer passer le col à 4 000 m à vélo. La découverte d'un bus direct au départ de Tilkara chaque matin à 8 h nous décida. Et c'est avec fierté - et l'aide de Google traduction - que je pus composer la phrase : "pouvez-vous garder nos vélos et nos bagages trois ou quatre jours ?". Cela ne posait aucun problème au gardien du camping qui nous ouvrit la porte de son logis. Nous étions prêts pour cette escapade, sacs à dos chargés du minimum.

 

 Jeudi 7 novembre, vendredi 8, samedi 9 - Iruya (2 700 m alt.) - 90 km en bus

 

La route fut d'abord toute droite, dans un décor de plus en plus dénudé, à la végétation de plus en plus rase. Bientôt même les cactus disparurent. Nous étions sur un vaste plateau, sur un "toit du monde" et cela donnait envie de continuer plus loin vers le Nord, de traverser toute l'Amérique ainsi. Mais il y eut un embranchement et notre bus emprunta une piste sur la droite. Un panneau de bois indiquait : "Iruya, 47 km". Entre temps étaient montées quelques femmes aux visages très burinés, couvertes de gilets et châles de laine et coiffées de chapeaux de feutre à larges bords, leurs nattes nouées dans le dos. Elles allaient, une par une, au fur et à mesure du trajet, descendre au milieu de nulle part et se diriger, chargées de leurs paquets, vers quelque bâtisse basse et couleur de terre au bout d'un chemin. Le décor devint complètement fou, fantastique, de caillasses et de grisailles, avec soudain, ici et là , une oasis de verdure, un groupe de masures, quelques hommes aux labours avec un âne, une femme avec une houe dans des parcelles cultivées. La piste grimpa ainsi, étroite et sinueuse jusqu'à 4 000 m d'altitude et je nous imaginais mal à vélo là dessus. Sur notre droite un volcan rose vif culminait à plus de 5 000. Puis ce fut la descente, vertigineuse bien qu'en lacets, vers un véritable canyon et un rio à sec. Et enfin apparut le village d'Iruya bloqué dans cette vallée grise et dominé de parois roses, bleues et brunes. La route s'arrête au pied de l'église. Un vol de condors salua notre arrivée.

 

 

 

Le village d'Iruya

 

A L'arrêt de l'autocar une petite dame en pull rouge, couleur dominante de l'habillement local, nous accosta : "une chambre ? 40 Pesos par personne". Nous la suivions et bientôt, un peu groguis par cette fantastique course en bus, nous posions nos affaires dans une chambre avec un grand lit. Nous allions rester trois jours dans ce bout du monde. Promenades et croquis autour du village. Marché dans le rio jusqu'au fond de la vallée. Belle randonnée par une piste caillouteuse et plusieurs passages à gué pour franchir un torrent jusqu'à San Isidro. Deux bonnes heures de marche aller et autant retour. Nous nous attendions à trouver peut-être au bout de cette piste dans ce décor on ne peut plus minéral un sanctuaire ou une chapelle, un lieu de pèlerinage. Mais c'est un véritable village qui apparut à mi hauteur d'une paroi, avec ses deux rues pavées, son église blanche et bleue, école, chambres à louer et café-restaurant. Nous y prendrons un café sur la toile cirée à carreaux. Par la fenêtre un paysage à couper le souffle. En contrebas du village, des miracles de potagers et champs miniatures.

 

Une rue d'iryua

Le café de San isidro

Les onagres d'Iruja
Les onagres d'Iruja

 

Mercredi 6 novembre - Tilcara (2 650 m d'alt.)

 
Nous retrouvions la N9 qui va droit vers le Nord et les vestiges d'une voie ferrée qui desservait autrefois chaque petite bourgade et qui, sur la carte, se poursuit bien au-delà en Bolivie. Le paysage était toujours aussi désertique, déchiqueté, coloré et pourtant le long du rio une coulée verte de cultures semblait presque incongrue. Etait-ce déjà l'effet de l'altitude ? Nous étions  très essoufflés. D'autre part j'ai adopté une tenue adaptée à la lumière et au soleil très fort à cette altitude: liquette à manches longues et surtout foulard sur la bouche. En deux jours de vélo mes lèvres, bien que graissées plusieurs fois par jour , ont déjà brûlé et éclaté.
 

De Londres

Dimanche 17 novembre - Cafayatte (1660 m)

 

Départ 7 h 30 de notre campement au bord de la  rivière d’ Alemania, un hameau de cinq ou six maisons et une gare désaffectée. Le pont de chemin de fer et les rails y sont encore d'une ligne qui aboutissait là, au pied d'une chaîne de montagnes impressionnantes qui ne manquent pas de nous inquiéter. Une date sur la gare : 1916. Un décor un peu surréaliste de village de colons abandonné. 

Nous avions plié la tente et pris le petit déjeuné en grelottant. Nous partions avec les pulls mais moins d'une heure plus tard il fallu revêtir des tenues plus adéquates : chemise à manches longues, foulard sur la bouche, lunettes et crème solaires. Et nous progressions dans une vallée étroite taillée dans des collines rouges. La rivière, elle, serpentait dans un lit de sable blanc et, bien qu'asséchée, permettait la pousse d'une petite forêt verdoyante. La vallée s'élargit et il y eut quelques vignes et deux ou trois maisons isolées. Dans cet environnement de pierraille et de poussière, une femme blonde en pantalon et blouse, joliment coiffée d'un chignon, balayait le pas de sa porte : l'image même de la pionnière. La route se dessinait au loin, longeant les parois couleur minerais de fer, ondulant gentiment mais sans montées difficiles ou trop longues. Nous passions dans des canyons, puis débouchions sur des plateaux arides. Dans une cahute une femme nous vendit un pain tout juste sorti du four. Délicieux. Au bout de 50 km, le paysage se fit plus aride encore, les roches plus griffues, le plateau plus désertique. Et dans ce décor beau mais inhabitable, dans cet univers blanc, rose et rouge, une cahute encore proposait des poteries, des boissons et du fromage de chèvre. Coca, fromage et le pain tout frais acheté peu avant, voilà qui allait nous faire un somptueux déjeuné pris sur place, à l'ombre d'un auvent fait moitié de tôle moitié de carton. Trois lamas étaient attachés, quelques moutons et chèvres bien impertinents nous tournaient autour. Midi était passé, le vent se levait. Nous repartions sous un soleil maintenant au zénith, de temps à autre bousculés par de bonnes rafales de ce vent que nous n'avions fort heureusement pas de face et qui finalement rendait la chaleur supportable. Un panneau "fin  camino sinuoso" signalait la sortie de  la Quebrada.

 

Il restait 15 km à parcourir, tout en ligne droite, dans une vallée écrasée de chaleur, très large et complètement sèche.

La grande rivière de Cafayatte, du sable, rien que du sable

 

Nous étions fatigués et ces derniers kilomètres paraissaient ne devoir jamais finir tant nous attendions l'oasis de la ville et la chambre d'hôtel que nous nous étions promise. Nous la trouvions, dans une auberge de jeunesse. Une chambre avec deux grands lits et un coin salle d'eau, une table et deux chaises devant la fenêtre à l’ombre de la treille, cuisine à disposition, fil pour étendre sa lessive : 10 €.  Merveilleux, d'autant que nous étions seuls dans cette auberge dont nous n'étions même pas sûrs qu'elle fut vraiment ouverte.  Seul bruit : les perroquets qui piaillaient dans les arbres. Nous dormions dix heures d’affiler. Voilà bien longtemps que nous n'avions fait une telle nuit.

La journée du lendemain  se passa, toujours dans un grand silence et une heureuse solitude, à nettoyer vélos et sacoches, faire un peu de couture, la sieste et nous cuisiner un petit repas sur place. La petite ville de Cafayate n'offrait à nos yeux que l'intérêt du repos. Il n'y a en effet rien d'autre à y faire que boire un verre à l'une des terrasses de café qui entourent la place centrale et prendre un bus pour monter vers le Nord ou descendre vers le Sud. Ses spécialités viticoles en outre ne nous intéressaient pas et nous préférions nous offrir une glace.

 Après une journée de repos bien au calme nous prenons la fameuse Ruta 40 qui traverse toute l'Argentine du Nord au Sud. Dès le matin de bonne heure nous eûmes le vent de face. A 35 km, il y eut le village de Cololao, complètement isolé dans cette vallée asséchée, vide et désert autour de sa place centrale où nous faisions une pause. Seul était ouvert un kiosque qui vendait des sodas, des hamburgers, des cahiers et des crayons. Une radio hurlante s'en échappait tandis que deux hommes coiffés de chapeaux de cow-boys buvaient du coca debout au comptoir, le vendeur étant de l'autre côté, enfermé avec ses marchandises. Le Far west.

Nous faisions un détour d'une vingtaine de km pour aller visiter le musée Hector Cruz à Amaicha. La route devint franchement défoncée dans ce désert de sable et le vent commença à forcir et fraîchir. De l'extérieur ce musée promettait déjà mais nous avions besoin d'une boisson chaude et d'une pause avant la visite. La cafeteria de la station service voisine devait pouvoir nous procurer cela. Mais non. Malgré la bonne odeur de café qui s'échappait de la tasse d'un consommateur, on nous répondit "non" - "Pas de café ?" - "Pas de café" - "Et de l'eau chaude ?" - "de l'eau chaude, oui". Bizarre. Nous allions chercher notre bouteille thermo, nos tasses et notre café soluble. Au même endroit dans la soirée nous verrons la fille servir deux grandes tasses de café au lait  à des clients.

Le vent devint complètement fou et il se mit à faire froid. Les monts disparaissaient dans d'épaisses nuées noires quand nous entrions dans l'enceinte du musée. Et ce fut l'émotion : des mosaïques murales de pierres, des petites têtes naïves sculptées dans des bouts de bois... Ceux à qui nous avons parlé de Jules Paressant comprendront notre émotion.  Hector Cruz, qui vit toujours et a ses ateliers sur place, touche à tout avec bonheur. Les pétroglyphes trouvés dans la région, l'artisanat et les formes indigènes, il les réinterprète dans la pierre, le bois, l'argile, sur la toile et des tapisseries aux couleurs merveilleusement douces. Nous sortions de là deux heures plus tard, chargés, bouleversés, et frigorifiés.

 

C'est dit. Dans une prochaine vie je serai sédentaire, indéracinable et au lieu de voyager aux quatre coins du monde, je serai artiste.

 

Mercredi 20 novembre - Punta de Balasto (2 136 m)

 

On roule dans cette vallée désertique et sèche et puis soudain on se retrouve en train de boire un café sur une place ombragée de grands eucalyptus, une place qui pourrait être au Portugal ou en Grèce.

Nous rejoignions la Ruta 40 à Santa Maria avec sur notre gauche les sommets enneigés de la Sierra Aconouija culminant à 5 500 mètres d'altitude. A partir de maintenant, tous les kilomètres sera annoncée la distance qui nous sépare d'Ushuia. Courage ! Plus que 4 212 km !

 

Les petites chapelles ou boites votives sont nombreuses aussi. Vu devant l'une d'elles un grand panneau : "Soyez prudents. Ne faites pas une étoile de plus dans le ciel". Joli non ?

 À l'entrée de Punta de Balasto – un hameau d’une dizaine de maisons- devant une petite maison de briques, était indiqué " Camping, bar, poulet,  bienvenue" avec le dessin d'un vélo. Tout était fermé à cette heure de la sieste mais il était également indiqué : "timbre" (sonnez). Une femme souriante ouvrit sa fenêtre. La question habituelle " Est-ce qu'on peut camper ici ?" - "Si, si". Elle appela Manuel, un grand gars aux yeux bleus, qui nous montra le futur camping qu'il était en train d'aménager de l'autre côté de la route. "Pas encore de douche ni toilettes, mail y a de l'eau et j'apporte une table et deux chaises, et ce soir une lampe". La tente fut plantée sur un petit bout de gazon près de la bétonneuse, avec vue sur les montagnes. Le coucher de soleil fut somptueux et dura une bonne demi heure. Les éclairages mirent en valeur tour à tour les montagnes à l'Est puis il fit vraiment frais et nous nous glissions dans nos duvets.

 

Jeudi 21 novembre - Hualfin - 88 km

 

Nous grimpions sur un plateau  puis pendant 60 km pédalions dans une végétation d'herbes rases, sur la Ruta 40 toute droite, tendue comme un fil vers l'horizon. Tout autour du plateau, des montagnes dépassant les 5 000 mètres Quelques petits troupeaux de chèvres, de moutons et de vaches en liberté, mais aussi des chevaux et des ânes sauvages. Sur le bord de la route, vers 10 h 30, nous faisions la pause café et ce fut comme un déclic, comme si quelqu'un avait appuyé sur un bouton : le vent se mit à souffler. L'allure en fut terriblement ralentie et nous peinions en petite vitesse.

 

 

Quand enfin, vers midi, le vent faiblit un peu, que la route commença à descendre doucement et qu'un panneau nous indiqua un village à 20 km, il n'y eut plus de goudron. La route en réfection n'était plus qu'une piste de graviers, de sable, de tôle ondulée, avec engins et camions nous noyant dans des nuages de poussière. A  Los Nocimientos, premier village depuis 70 km, inutile de rêver d'un poulet-frites, nous ne trouvions qu'un mur à peine frangé d'ombre pour nous appuyer et manger notre bol de céréales. Et ce fut encore cette piste défoncée jusqu'à Hualfin

 

Au niveau du carrefour du "centre ville", un petit musée archéologique, une jolie petite église rose du XVIIIè siècle et un panneau "informations touristiques" nous arrêtèrent. Il n'y avait pas de camping à Hualfin mais nous pouvions planter la tente entre le musée et l’église. Tandis que Dany faisait une réparation de fortune sur son porte-bagages avant, je fis le tour du village. Autour d'une butte surmontée d'une croix et qui faisait office de rond point, une bibliothèque, les bureaux de la municipalité, une pharmacie, une mini épicerie et trois maisons. Un peu plus loin, une école et un supermarché. L'habitat est très éclaté dans ces patelins et on a toujours l'impression qu'il n'y vit personne. Pourtant il y a tout ce qu'il faut, y compris un stade et un office du tourisme

 

Vendredi 22 novembre - Belen ( 1200 m)

 

Et ce fut au matin à nouveau la piste de sable et de graves, les convois de camions, la poussière. Nous en aurons mangé, avec celle de la veille, 35 km quand soudain nous retrouvions le bitume. C’est super, le bitume. C’est lisse (enfin pas toujours) et ça glisse tout seul (des fois).

Nous atteignions Belen peu avant midi et nous attablions enfin devant un poulet-frites et un coca. Nous trouvions un terrain de camping avec de l'eau et des toilettes, assez pour se doucher à l'aide de notre petite bassine. Vers 21 h quelques personnes vinrent faire la fête à l'autre bout du terrain. Les boules Quies suffirent à les oublier. Mais à 2 h du matin ce furent une sono infernale et des beuglements dans un micro. Pouces sur les oreilles pour supporter la puissance du volume jusqu'à 5 h.

J’ai l'impression d'être dans un pays peuplé de déments. Le matin ils sont assez doux et gentils, bien que plutôt bruyants, l'après-midi ils dorment et la nuit ils hurlent et vocifèrent. Nous ne sommes certes pas tombés dans un nid d'intellectuels. Heureusement que nous savions à l'avance qu'en Argentine, on vient pour la grandeur de la nature. Nous en aurons encore la preuve deux jours plus tard, dans un endroit qui aurait pu être superbe avec la rivière qui coule entre des rochers de granit rose, aire de pique nique et camping aménagée. Je vous passe les détails et de l’ambiance sonore et de l’état des sanitaires. Du jamais vécu.

 

Samedi 23 novembre - Londres

Après cette nuit entièrement blanche, départ à 8 h du matin, avec la ferme intention de trouver une chambre à Londres. Tout en pédalant dans ce décor de hautes montagnes souveraines, sur une route aux bas côtés jonchés d’ordures, je me disais que ce qui se passait à leurs pieds était bien minable, pitoyable.

Londres se distingue par ses vergers de noyers. Que ne connaît-on les noix de Londres ! Il y a aussi un site archéologique inca. A 9 h du matin, tout était bien sûr fermé. Une jeune femme frappa pour nous à la porte d’une bâtisse qui faisait hôtel. C’est à travers un juda que l’on nous répondit : « oui, il y a des chambres, 200 Pesos par personne ». - « pouvons-nous voir ? ». Réponse : « je vais chercher la duègne ». Et la duègne, vieille bonne femme comme je m’y attendais, arriva, pas aimable, et tendit une clef à la jeune qui nous avait accueillis. J’entrais dans la chambre sans fenêtre qui donnait directement sur la rue. Une piaule. Quand je ressortais une minute plus tard sur le trottoir, il n’y avait déjà plus personne, ni duègne ni jeune et la porte principale, juda compris, était refermée. Une autre femme nous conduisit à un « hôtel bien, avec douche et tout ». Elle réveilla le propriétaire qui enfila un short et des savates pour venir nous ouvrir une chambre. Pareil. Une piaule à 200 Pesos, mais avec une fenêtre cette fois-ci. On nous avait remis le prospectus d’une maison d’hôtes qui paraissait bien jolie sur les photos et nous nous y rendions, certains que ce ne serait pas dans nos prix. C’était un peu à l’écart du village, accessible par une piste, une grande maison rouge aux volets verts. On nous ouvrit la porte d’une chambre fraîche dallée de schiste, avec deux bons fauteuils. Le prix ? – « 200 Pesos ».

Les ruines archéologiques étaient à un peu plus de cinq kilomètres de piste. Tout contre la montagne brune, c’est un site de broussailles desséchées sur lequel ont été reconstruits quelques murs. On peut gravir un oppidum par un reste d’escalier, ancien lieu de sacrifice peut-être et d’où l’on voit l’immense plaine qu’il nous faudrait traverser le lendemain. L’endroit est tellement sec qu’il en a l’air calciné. Un petit musée montre quelques pièces de poteries et urnes funéraires trouvées sur place. Il faisait très chaud. Revenus au centre du village, à 13 h, nous constations que les commerces avaient déjà refermé leurs portes. Ils les rouvriront peut-être vers 18 h, jusqu’à 21 ou 22 h. Nous avons du mal à nous habituer à ces horaires. Nous rentrions faire une bonne sieste dans notre chambre tout confort.

Cela valait la photo, car un confort pareil ne nous arrive pas souvent

Fin de l'épisode Nord Argentine

 

Assise sur un banc de gare routière, je résume ces 10 derniers jours passés dans la région nord de l’Argentine.

 

Lundi 25 novembre - Chilecito (1100 m)

 

Départ à 6 h 30. Le soleil  passait déjà la montagne et le vent nous cueillit dès le premier kilomètre. Un vent fort qui nous bousculait et nous faisait faire des embardées terribles. Nous roulions en crabe pour tenter de l'avoir moins de travers. Face à nous se dressaient des monts enneigés à plus de 6 000 mètres. Et ce fut encore cette plaine désertique. Le long de la route se succédaient les autels au  Gauchito Gil, sorte de bandit au grand coeur et dont la mort aurait généré une guérison miraculeuse. Souvent situé sous un arbre - en soi déjà un miracle dans cet environnement ingrat - il est signalé par des drapeaux et des chiffons rouges et les offrandes (peaux tannées, vin, cigarettes, et même pneus de camions ) s’amoncellent autour comme dans un dépotoir. Vu aussi les autels dédiés à la "Défunte Correa" retrouvée morte de soif mais allaitant toujours son bébé. Des bouteilles en plastique entourent la boite votive.

Le Gauchito Gilles

La défunte Correa

 

Il nous fallut quatre heures pour atteindre Pituil au km 35, sans pause aucune. Le vent n'était pas chaud et forçait encore. Il nous semblait impossible de rallier Chilecito, encore à 70 km, de la sorte, et décidions de tenter le stop. Cela risquait de prendre un certain temps vu le peu de circulation, mais dix minutes seulement après nous chargions les vélos et les sacoches à l'arrière d'un pick-up. Et nous voilà fonçant à 140 km/h sur cette route toute droite dans  cette plaine infinie, musique à plein régime. 3/4 d'heure plus tard notre chauffeur décidément très gentil nous déposait devant l'auberge de jeunesse de la ville. Surtout ne jamais se poser la question « à quoi bon pédaler ».

 

Mardi 26 novembre - Villa Union - 110 km

 

Il ne faisait pas bien beau lorsque nous enfourchions les vélos. Ciel gris, vent très faible. Impeccable pour rouler. La Ruta 40 se rétrécit et monta doucement jusqu'à Miranda dans un paysage plus verdoyant, passant quelques hameaux fleuris et apparemment plus faciles à vivre que dans la plaine aride. Les cactus géants étaient surchargés de grosses fleurs blanches. Puis nous grimpions jusqu'à 2 000 m par un « camino en construction »  dans un paysage rouge et brun. Un couple de condors planait au dessus de la gorge et du lit de la rivière rose.

 

Ensuite  ce fut la descente, abrupte, sur une route goudronnée, jusque dans une nouvelle plaine aride. Nous avions franchi la Cuesta de Miranda. En bas de la côte une petite dame qui avait l'air de s'ennuyer dans sa buvette en compagnie de son perroquet et de sa radio nous servit un café et des empanades délicieux.

 

Jeudi 28 novembre - Talampaya - 60 km

 

Au fond le  mont Belgrano enneigé (6200 m)

Route toute droite dans le désert. Arrivée au parc naturel de Talampaya vers midi. Nous avions décidé de camper là. Pause déjeuner sur l'une des tables à l'ombre, sieste sur un banc. Il se mit à faire très chaud et un vent fou se leva. Nous ne faisions pas la balade dans le canyon d'ailleurs assez chère. Nous passions le restant de l'après-midi à faire quelques croquis, flemmarder, espérer que le vent se calme pour pouvoir planter la tente. A 20 h nos regards se tournèrent du côté des sanitaires pour une fois impeccables. Nous étions seuls. Nous déroulions donc les matelas côté douches, les vélos étant rentrés côtés wc.

 

Renard du désert

Route toujours toute droite dans un désert où les buissons n'arrivaient même pas à faire des feuilles. Vu à plusieurs reprises des guanacos d'un beau roux et un nandou, sorte d'émeu en plus petit, qui traversa la route devant nous. A Los Boldecitas nous avisions une gargote, seule au milieu de la poussière. Nous abandonni_ons nos montures sous l'auvent entrions dans le saloon. La gargotière était une grand mère petite et rondelette, tablier autour du cou et chapeau de cow boy sur la tête. Deux hommes déjeunaient en regardant Zorro à la TV. Nous déjeunions  donc en regardant Zorro.Le village n'était constitué que d'une dizaine de maisons en adobe, espacées les unes des autres de 50 à 100 mètres, une école peinte en bleu, des chevaux en liberté. Une route partait sur la droite vers le parc de la Vallée de la Lune que nous atteignions vers 14 h. renseignements pris, on ne pouvait faire la visite qu'au volant de son propre véhicule. Un convoi allait partir cinq minutes plus tard. Nous partagions la voiture d'un couple de Français et nous voilà partis pour un tour de 40 km en trois heures dans un paysage de roches blanches et rose érodées merveilleusement par l'eau, le vent et le temps. Une falaise rouge, énorme, borne l'espace. C'est ici, dans cet étrange paysage lunaire, que furent trouvés les plus vieux squelettes de dinosaures de la planète : 230 millions d'années. Les reproductions grandeur nature exposées dans le petit musée sont impressionnantes.

 

 

 

 

Camping à l'accueil du parc. Des petits renards à queue touffue baguenaudaient aux alentours. Nous plantions la tente bien coincée entre un panneau de cannisses et une table afin de nous protéger du vent qui recommençait à souffler aussi violemment que la veille. Il souffla toute la nuit et au matin nous attendions jusqu'à 9 h qu'il se calme pour reprendre notre route.

 

 

Ensuite ce fut pendant 3 jours morne plaine. Rien à voir si ce n’est l’horizon à au moins cent kilomètres. Nous plantions la tente sur la place publique d’un village. Il y eut des hameaux de quelques maisons isolées là, en plein désert, pathétiques de vide et d’ennui.

Lundi 2 décembre nous faisions une étape de 135 km en pleine chaleur. Nous pédalions dans un four, dans un désert de sable, mais heureusement sur une route goudronnée. Pause pique-nique près de quelques cases moitié en ruines et pourtant habitées sur le bord de la route. Nous nous demandions à quoi peuvent bien s’occuper les gens qui habitent là, à part  faire des enfants, quand justement une petite fille nous apporta une bouteille de 2 litres d’eau fraîche. Merveilleux cadeau !  Sur le bord de la route, des autels dédiés à quelques victimes de la route (ou du soleil ?) près desquels les passants font des offrandes : pneus de camions, radiateurs de voitures, pots d’échappements quand ce n’est pas des carcasses de bagnoles. Vu l’état des bagnoles qui roulent dans ce pays, il peut y en avoir des carcasses !

Décharge sainte

 En fin d’après midi nous atteignions, épuisés et les jambes pleines de chaleur, Valecito où nous espérions pouvoir nous arrêter.

coup de fatigue sur la route

En effet on pouvait camper. Il n’y a même que  des emplacements de camping à Valecito qui n’est pas un village mais un sanctuaire dédié à la Défunte Correa (celle qui est morte de soif). Hideux , dégueulasse. Nous plantions la tente dans un véritable dépotoir, mais heureusement seuls en ce jour de semaine. Des centaines de familles viennent camper ici tous les week end et il n’y a même pas de douches, des sanitaires fermés la nuit, et des baraques à frites en grand nombre.  Décidément, si les paysages traversés dans la journée sont grandioses ou impressionnants dans ce pays, les fins d’étape dans les lieux « aménagés » sont plus que décevants.

 

Hier soir , arrivée à San Juan, une petite ville bien ombragée, où nous nous offrions une chambre d’hôtel avec clim et douche ! Nous rencontrions un couple de cyclos américains qui viennent de traverser le Pérou et la Bolivie et sont désorientés par le mode de vie des Argentins. Eux aussi, bien qu’ils soient plus jeunes que nous, ont bien du mal à supporter l’ambiance  nocturne de ce pays et le fait que tout le monde semble enfermé et endormi de midi à 19 h. Ils nous ont donné  envie d’aller plus loin vers le nord. Nous avons parcouru a vélo 1750 km dans cette région N0 de l'Argentine, avec des paysages grandioses mais  c'est la partie la plus au Nord, près de la Bolivie que nous avons préféré, peut être à cause de la présence humaine et indienne dans les villages.

 

Mais pour l’instant nous sommes en attente d’un bus pour le Sud, c'est-à-dire les montagnes verdoyantes, la pluie, le vent (encore) et le froid. Ca va être charmant. Mais quand on a la manie de vouloir aller voir par soi même … les vélos et les sacoches sont emballés. Daniel lit à mes côtés pour ne pas s’endormir par cette grosse chaleur.  Un peu plus de 1 000 km à parcourir  dans la nuit.

 

PS. Nous envoyons finallement ce texte de San Martin de los Andes (près de Bariloche), presque 2000  km plus au Sud, après 22 h de bus toujours en ligne droite dans le désert (mon dieu, dire qu'on auait pu faire ça à vélo !). Gros contraste : sapins, montagnes  verdoyantes, torrents, neige sur les sommets, gros duvets sortis, grosses chaussures, chaussettes, pulls ... on est gelé, mais le 1er jour cela repose des grosses chaleurs du désert. On se croirait dans les Alpes, exotisme suprême pour les Argentins.

 

Vague de Chaleur sur la Patagonie

 

En deux semaines nous avons traversé cette région de San Martin de Los Andes à Esquel, un peu plus de 500 km de montagne, de lacs en lacs. Superbe route qui nous fit grand bien. Il fit jusqu'à 30° à l'ombre, presque sans vent : un bel été en Haute Provence. C'était d’ailleurs par moment tellement beau qu'on s'y serait cru, en Haute Provence, du côté de Thorame et du lac d'Allos pour ceux qui connaissent, toutes proportions gardées bien sûr, car les paysages en Argentine sont à l'échelle du pays, c'est-à-dire toujours grands, très grands. Montagnes couvertes de forêts touffues, sommets de roches rosées, traces de neige, torrents d'eau claire, lacs turquoise ou bleu profond et tout le long de la route des massifs de lupins mauve et de genêts dorés aux odeurs enivrantes, des marguerites et des aubépines fleuries. Le ciel était si bleu que j'avais l'impression de rouler dans une carte postale. nous étions ravis de boir des bouquets de lupins sur le bord de la route, des petites maisons dans la prairie, de fouler de l'herbe pour la pause pique nique. Un jeune cyclo brésilien qui venait en sens inverse nous apostropha. Les questions habituelles "d'ou venez vous ? Où allez vous ?" Il avait longé la côte depuis le Brésil jusqu'à Ushuaia et remontait maintenant vers le BNord, jusqu'au Canada. Beau périple. Un jeune couple d'Allemands était parti depuis trois ans et terminait le voyage par un Quito - Ushuaia. En début d'après-midi nous atteignions le lac Falkner dominé par un mont crénelé de roches massives et brunes. Un camping était aménagé sur le rivage. La vue était tellement belle que nous décidions de nous arrêter là.

 

 

 

 

Il y eut aussi l'étape au bord du lac Gutierrez, après Bariloche. Hors de prix le droit de planter la tente et prendre une douche. A ce tarif là on a une chambre double dans le nord du pays. Nous hésitions, puis restions. L'endroit était vraiment superbe : un grand parc au bord du lac avec à l'Ouest des roches noires abruptes et tachées de plaques de neige d'où coulait une cascade, à l'Est des sommets nus qui auraient pu être des alpages. Des oies au col orange menaient leurs tribus de poussins sur la grève. Il y avait aussi de gros oiseaux de la famille des ibis à très long bec recourbés.

 

 

 

 

Vendredi 13 décembre - El Foyen

 

La route longea des lacs avec quelques beaux points de vue puis ce fut une descente de dix kilomètres dans le canyon de la Musqua, avec devant nous la Cordillère toute enneigée. Un vrai bonheur. Bien sûr ensuite il fallut regrimper pour sortir du trou. Des panneaux publicitaires indiquaient pour El Foyen : "camping, accueil vélos, restaurants, marché artisanal, pâtisseries confiseries, etc..." Mais comme d'habitude en Argentine tout avait l'air à moitié fermé, moitié abandonné. Au "camping-restaurant-accueil vélos", celui qui faisait sa publicité tous les kilomètres depuis 10 bornes, il y avait un panneau "cerrado" (fermé). Pourtant des chaises et tables étaient dehors et  le menu du jour était affiché. Mais il y avait aussi un peu partout des bouts de tôle abandonnés, des casiers à bouteilles vides, des vélos d'enfants et des carcasses de bagnoles. Le terrain qui paraissait être réservé aux campeurs n'était pas fauché. Nous retournions en arrière demander au kiosque s'il y avait un autre endroit pour planter la tente, puis à la pâtisserie et l'on nous renvoya au camping. "Mais, c'est fermé". "Ah ? Fermé, No se". Dans le salon de thé pâtisserie, il est heureux que nous n'ayons rêvé d'aucune gâterie. Dans le réfrigérateur s'écroulaient quelques bouteilles de boissons gazeuses. Nous achetions du pain dans un autre troquet qui affichait "tartes, sandwichs, glaces, spécialités régionales", mais à part ce pain que nous étions ravis de trouver, il n'y avait que trois pots de confiture sur une étagère. Ce pays a toujours l'air endormi, sans activité, les gens d'une passivité profonde. Ils affichent plein de choses mais n'ont jamais rien, ou tout du moins ne le mettent pas en avant. Le moins que l'on puisse dire c'est que les Argentins n'ont pas la bosse du commerce.

 Dans une belle descente nous croisions un vieux bonhomme, sur un vélo et avec des bagages pas jeunes non plus. Il nous bombarda de questions dans un Espagnol mâchouillé dans sa bouche édentée et que nous comprenions bien mal et nous le quittions sans avoir su d'où il venait ni où il allait. Ce qui était sûr c'est que, vu la belle chute qui nous attendait encore pour atterrir à 300 mètres d'altitude, il s'était tapé au moins 20 km de côte et n'en avait pas fini.

Peu avant El Bolson nous franchissions le 42ème parallèle qui nous indiquait notre position à la hauteur de la Tasmanie. Nous nous arrêtions dans cette ville sans intérêt si ce n'est que nous y trouvions du poulet grillé. Dans un verger aménagé en camping nous déjeunions de poulet-frites, avec cerises chapardées en dessert, avant de planter la tente à l'ombre des pommiers. Quel dommage que nous fussions au bord de cette Ruta 40 très fréquentée, autant de guimbardes que de camions, pick-up neufs ou mobylettes qui tous avaient en commun un pot d'échappement trafiqué pour faire plus de bruit. A 1h30 du matin débuta un concert chez un voisin qui dura jusqu'à 6 h." Vroum-vroum, boum-boum" pourrait résumer les centres d'intérêts des Argentins le week-end. Nous faisions un écart de 10 km en descente jusqu'au lac d'Epuyen pour faire étape au camping "Refugio del Lago", adresse du Routard. Quelques chambres, deux ou trois locations et une aire de camping tenus par un couple de français installés ici depuis 25 ans. Il élèvent des chèvres et des moutons, ont une poignée de poules et produisent un peu de légumes, du miel et des confitures. Nous nous ferons plaisir avec un fromage maison.

 

 

 

 

Sur le vaste plateau que nous traversions, alors que nous pique niquions à l'ombre près d'une maison de briques isolée, un homme sortit de la cour sur son cheval, chapeau de cuir sur la tête, et s'éloigna sur la route, entouré de ses chiens. C'est par ici, et peut-être ici même, que Butch Cassidy et ses deux compagnons avaient trouvé refuge. Coin bien isolé pour une bonne planque, c'est certain. Dans la prairie voisine du verger qui ce soir là encore serait notre camping, un homme à cheval et ses chiens rassemblent un petit troupeau de veaux. Western encore. Et puis ces jeunes qui sont allés se baigner dans le lac, tassés dans une vieille Ford pétaradante dont le capot ne ferme plus, au bas de caisse en dentelle de rouille, c'est du Caldwell ou du Steinbeck ?

Cholila est une bourgade sur un vaste plateau qui bute à l'ouest sur la Cordillère et ses hauts sommets acérés et enneigés. Avenues larges et vides, une station service, quelques boutiques ouvertes quand ça leur chante. On y tue l'ennui en mettant la radio très fort. Nous trucidions le nôtre en mangeant une glace, sono dans les oreilles et vaste panorama devant les yeux.

Pas grand monde  à Cholila

 

Le Parc National des Alerces

 

Mauvais choix que d'avoir voulu traverser le parc naturel à vélo. Ce n'est plus une piste mais un éboulis de caillasse. Du "ripio" ils appellent ça. Pas compliqué, le "ripio", c'est tout ce qui dérape. On en bave, on pousse, on se casse la figure, et pour rien puisque de cette piste entre des taillis et des grands arbres, on n'aperçoit quasiment rien du paysage. A L'Office du  Tourisme de Cholila, une fois de plus, les renseignements donnés avaient été  erronés. "Les campings gratuits sont désormais interdits mais tous les autres sont ouverts. Pas de problème." Comme d'habitude on a affaire à des employés charmants, aimables, mais tout à fait incompétents. Seul un camping était ouvert sur les 80 km de traversée du parc. Nous avions hésité à nous embarquer une fois mis au courant de la prolifération de rats porteurs d'un virus mortel (le hantavirus), mais rassurés par les "no problem" de l'OT, nous prenions la mauvaise option. Nous verrons tout de même quelques alerces, ces grands pins qui donnent son nom au parc, un bosquet d'arrayanes aux troncs orange, mais quasiment pas d'oiseaux dans nette nature vierge et sauvage, seulement des taons agressifs qui me rendaient folle.

 

Ce fut vraiment pénible et sans plaisir pour arriver jusqu'au premier et seul camping ouvert (22 € !) et il restait encore autant de kilomètres de piste pour le lendemain. Ce à quoi nous n'avions pas pensé, c'est qu'il était interdit de boire l'eau des robinets. Pas de problème, on pouvait nous en vendre au camping : 3 € le litre ! Tous les bâtiments étaient protégés de remparts de tôle d'une trentaine de centimètres de hauteur pour empêcher les rongeurs de passer. Des emplacements de tentes étaient protégés de la même façon.

 

Et la piste reprit, un peu moins difficile peut-être  mais assez pour nous fatiguer les mains, les épaules et les mollets. Et enfin ce fut le goudron. C’était tellement lisse soudain que j’avais envie de fermer les yeux et de dormir tout en roulant. Nous nous arrêtions au premier camping, accueillis par un bonhomme débonnaire et sympathique. La prairie était superbe, les montagnes environnantes aussi et s’il y avait un lieu à voir dans ce foutu parc, c’était bien celui-ci. Alors que nous faisions une petite sieste pré-dinatoire, nous vîmes arriver deux cyclos Suisses avec leurs gamins de 2 et 4 ans qui venaient d’effectuer la traversée en une seule étape sans poser pied à terre. Et alors que nous allions nous coucher, ils jouaient au ballon avec les enfants qui avaient besoin de se défouler après ces longues heures assis à somnoler dans leur carriole. Dany pense que c’est une question d’âge….

Mais puisque vous en êtes tous à préparer les ripailles de fin d'année et que nous faisons des fantasmes culinaires tout au long des km, que je   dise un mot de notre régime depuis deux mois, et très certainement encore pour trois. Si dans le Nord du pays nous mangions de temps à autre un poulet grillé ou une "milanèse" (tranche de viande très fine panée) accompagnée de purée ou de frites, il n'en est pratiquement plus question dans le Sud. Outre que ce genre de petit restaurant soient devenus plus rares, les prix sont deux fois plus chers au moins. Nous trouvons dans les épiceries et petits supermarchés des flocons d'avoine et des corn flakes qui assurent nos repas du midi et pour le soir du riz, des pâtes, de la polenta et de la purée instantanée que nous accompagnons de filets de maquereaux en boite, petits pois ou macédoine de légumes. Oh joie, on trouve des olives un peu partout. Et en dessert, une tranche de pain chaude grillée à la poêle badigeonnée d'huile d'olive et de miel, on adore. Les fruits et les légumes sont à consommer avec parcimonie, non pas à cause de leur prix souvent prohibitif, mais également à cause de leur état de décomposition avancée. Dans nos supermarchés français, ils seraient déjà à la poubelle mais on continue ici à vous les vendre 3 ou 4 € le kg. Si je ne parle pas de la fameuse viande de boeuf argentine, c'est que nous allons être peut-être bien les seuls touristes à traverser ce pays sans en avoir mangé. Tout simplement nous ne pensons pas à regarder les restaurants ; quant à se faire un steak nous-mêmes ... Cela ne nous viendrait pas à l'idée. Mais ça ne nous manquera pas, c'est certain. La viande grillée au BBQ, le fameux « asado » est le sport favori des Argentins le week-end. Un dimanche sans asado est un dimanche raté. Leur interdire de faire du feu est une atteinte à leur liberté individuelle. A tel point que nous avons vu affiché dans un Parc National forestier : « en cas d’indice extrême de risque d’incendie, interdiction d’allumer des feux entre 14 h et 22 h ». Pas de problème, aucun Argentin ne saurait s’occuper du dîner plus tôt.

 

 

 

Tempête sur la Patagonie

 

24 h de bus dans un désert uniforme sur une route toute droite. De temps à autre, à 2 ou 300 km de distance, une bourgade minuscule, groupe de maisons même pas resserrées les unes contre les autres, parfois entourées de quelques peupliers - mais pas toujours - pour se protéger du vent violent. C'est pathétique. Si je devais vivre ici, même temporairement, je sombrerais dans une mélancolie alcoolique en peu de temps. De quoi se flinguer.

 

 

Si vous ajoutez un bon vent de face, vous comprendrez pourquoi nous préférions être dans le bus

 

"Il n'y a plus que la Patagonie qui convienne à mon immense tristesse" écrivait Blaise Cendrars

 

Laurence Durell vécu aussi quelques mois en Argentine dans les années 50 et il s'y ennuya terriblement. Il écrivait : "il n'y a que des bovins et des chevaux. On mange les uns, on monte les autres".

 

A noter que les journées se sont terriblement rallongées. Il fait jour de 4 h 30 du matin jusqu'à 22 h.

Arrivés à El Calafate en début d'après-midi, nous nous faisions cueillir à la gare routière par la patronne du camping auberge de jeunesse justement repéré dans le guide. Grosse fréquentation de jeunes Français que nous retrouvons le soir dans la cuisine commune. El Calafate, c'est comme une station de sports d'hiver avec des boutiques de vêtements de sports chics et chers, de souvenirs idiots et des restaurants et bistrots en grand nombre. On y vient tous pour la vedette du coin : le glacier Perito Moreno. Et c'est vraiment très impressionnant de se retrouver, à 300 m d'altitude seulement, tout près de cette masse énorme de glace (5 km de large sur 15 de profondeur et 60 m de haut), aux couleurs de bleu de cobalt et de rose, qui bouge, qui gémit, qui craque et qui s'effondre dans de grands coups de tonnerre, lâchant des blocs énormes qui s'en vont naviguant dans l'immense lac Argentina. Tout un système de passerelles permet de se balader à plusieurs niveaux de la falaise de glace pleine d'éperons, de pointes et de failles.

 

 

El Calafate sera le point le plus austral de notre parcours. Nous ne descendrons pas plus au Sud, n'irons pas jusqu'à Ushuaia. Ce désert nous désespère  Et nous préférons garder un peu plus de temps pour remonter jusqu'à Chiloe au Chili et y séjourner un peu.

 

Et encore trois heures de bus dans un  désert balayé de vent, sans une habitation. On passe entre deux falaises pour déboucher dans une vallée glaciaire où s'est construite une agglomération d'hôtels et restaurants un peu disparate. La route s'arrête là. Ensuite c'est une piste qui va buter sur le lago Desierto 40 km plus loin.

 

El Chalten se présente également comme une station de sports d'hiver et se veut centre de trekking. Nous choisissions le buisson susceptible de nous protéger du vent pour planter la tente au camping El Relincho. Sanitaires très propres, douches bien chaudes, et surtout une salle et une cuisine chauffées, ce que nous apprécions énormément. Car, quand le vent se déchaîne c'est quelque chose. C'est l'été paraît-il, je n'ose imaginer l'hiver.

On vient dans ce Parc des Glaciers pour le Fitz Roy. Aussi partions nous pour une belle promenade en milieu de matinée, à travers une vieille forêt pleine d'arbres vétustes et éventrés comme de vieux châtaigniers, mais toujours vivants, jusqu'au lac Capri. Et soudain, au bout d'un peu plus d'une heure de marche c'est le choc. Il est là, dressant sa haute tour à 3 400 m d'altitude, entouré d'autres pointes. C'est une flèche de cathédrale de couleur ocre rosé, les pieds dans la neige et la tête dans les nuages qui jouent à l'enlacer, le cacher, le dévoiler. Ce matin, il se dressait dans un ciel bleu pur et les Indiens avaient bien raison de l'appeler "le volcan qui fume" car le vent soulève des volutes de neige qui s'effilochent dans l'azur à la pointe de sa flèche. Nous restions un moment en contemplation assis au bord du lac.

 

 

A El Chalten nous étions abordés par Régine et Michel, deux cyclos âgés de la soixantaine, partis depuis huit mois. Ils viennent de Lima et descendent sur Ushuaia. Nous nous donnions rendez-vous en fin d'après-midi pour déguster un chocolat chaud à la chocolateria. Délicieuse la grande tasse de chocolat à la liqueur de café ! Et pour fêter Noël nous nous offrions du chocolat noir que nous mangions religieusement le soir dans les duvets. Rencontre également de Patrice et Marie, 60 et 70 ans, qui, après avoir baroudé pas mal en Afrique avec leur land Rover, sont partis trois ans sur des vélos couchés. Tandis que dehors la pluie et le vent cinglent, les récits de voyages fusent dans tous les sens. Des rencontres qui ne nous donnent pas envie de « rentrer à la maison », ça c’est sûr.

 

 

Nous pensions passer au Chili par une piste et deux traversées de lacs, mais mauvais temps et non fonctionnement des bateaux font que nous repartons, toujours par le bus, demain matin 300 km plus au Nord pour passer la frontière à Chile Chico. Et notre prochain article devrait être écrit du Chili. Nous en avons assez du bus et avons hâte de remonter sur nos vélos.

 

 Nous vous souhaitons à tous nos meilleurs vœux pour la nouvelle année.

 

Lire la suite page Chili

Pour voir nos croquis réalisés pendant ce voyage, suivre le lien http://lescroquisdelescampette.jimdo.com/croquis-d-argentine