Le gang des Tuppin
En voyage il faut savoir passer incognito...
Et ce fut nos premiers kilomètres de cette route n° 6 , à deux voies et aux accotements défoncés, qui devait en un peu plus de 300 km soit quatre jours de route nous mener jusqu’à Phnom Penh.
Vu sur la route :
- au milieu de nulle part, un alignement de marchandes de « gâteaux bambou » sur deux kilomètres. Le « gâteau bambou » consiste en un petit tube de bambou rempli de riz gluant aux haricots rouges cuit à l’étouffé sur un brasero de charbon de bois. Ainsi pourrons nous voir parfois un kilomètre de vendeuses de noix de coco, puis encore près d’un village par exemple un ou deux kilomètres de stands de brochettes de poulets, ou encore de hamacs tous pareils. On dirait que, si quelqu’un a eu une idée, tout le monde fait la même chose. Aussi ne jamais remettre à plus tard l’achat de ce que l’on voit au moment présent sur la route car, après, c’est fini, on n’en retrouve plus nulle part.
- une charrette attelée de deux bœufs dont la roue se cassa net sur la route. Frôlé par les bus, camions et mobylettes, le conducteur adolescent et le gamin qui l’accompagnait descendirent en souriant de leur charge de foin, dételèrent les petites bêtes blanches et les mirent à la pâture sur le bas côté de la route. Nous ne saurons pas la suite, devant reprendre notre chemin ;
- un homme accroché après le haillon d’un minibus lancé à plus de 100 km/h ;
- un autre minibus prévu pour 8 passagers d’où s’extirpèrent plus de vingt personnes, mais cela nous l’avons vécu « de l’intérieur » lors d’un précédent voyage ;
- un pont du 12ème siècle à 19 arches, long de presque 100 m et large pour le passage de deux voitures. Ce pont sur l’ancienne route d’Angkor au delta du Mékong sert toujours même s’il est désormais autorisé aux seuls deux roues.
- Il y a aussi dans les villages, sur le bord de la route, des panneaux éducatifs montrant un homme armé d’une mitraillette qui part et les femmes et les enfants qui se dirigent vers le temple, ou bien un homme qui tape sur sa femme devant les enfants apeurés, ou encore une femme qui lave les mains d’un enfant avec du savon. Nous ne comprenons bien sûr pas la légende mais l’image est assez explicite. Il y a aussi des panneaux de la Prévention routière, payés par l'Australie, incitant les motocyclistes à porter un casque.Quant aux deux ou trois panneaux rappelant les symboles de la circulation automobile, ça fait joli mais je suis sûre que personne ne sait les lire.
Alors que nous chargions les vélos vers 7 h du matin un jeune vint nous poser les questions rituelles (« which country ? Where you go ? etc.). Il était arrivé la veille au soir dans le même hôtel
que nous, à mobylette avec sa jeune femme qui se tenait le bras droit enflé. Il l’amenait à l’hôpital pour une morsure de serpent. Nous voyons souvent sur la route des gens à mobylette
conduisant d’une main, l’autre main tenant la perfusion. Ils sortent du dispensaire sans doute.
Nous roulions de villages fermiers en villages agricoles. Mais si ces appellations désignent dans notre pays des bourgades constituées de gros bâtiments en pierres de taille et parfois même de
demeures quasiment fortifiées, il n’en est rien ici. Une ferme, c’est une cour avec quelques poules, une meule de foin, deux vaches et parfois une charrette, et une simple case sur pilotis. La
porte en est pratiquement toujours ouverte si bien qu’en passant on voit l’intérieur. Vide. Seules des nattes sont étendues sur le sol. Mais jamais l’on ne monte dans ce logis sans se déchausser.
Sous la maison, entre les pilotis et à l’ombre du plancher, sont les ustensiles de cuisine, ce que nous pourrions prendre pour une grande table basse mais qui sert de lit de repos ou d’endroit où
s’asseoir en tailleur pour discuter ou prendre les repas, et souvent un hamac. Le jour on vit sous la case, la nuit on se réfugie à l’intérieur. Devant la cour une mare à canards épanouit ses
lotus et ses jacinthes d'eau.
Puis la route fut en réfection sur plus de 150 km, ce qui ne signifie rien d’autre qu’une piste défoncée de terre rouge avec un important trafic de bus, camions et mobylettes. Nous arrivions en
fin d’étapes crevés, mal aux mains à force de crisper le guidon, et couverts de poussière rouge.
Traversé un village de tailleurs de pierre. Ils taillent de gigantesques bouddhas et, dans les déchets, font des petites sculptures. Bien entendu les gars travaillent avec un simple foulard en guise de masque, sans lunettes ni gants de protection.
Un midi nous décidions de profiter d’une bourgade aux boutiques alignées sur le bord de la route pour déjeuner. Dans la première cantine le volume de la télévision était si fort que nous fuyions. Dans la deuxième, où il n’y avait aucun client, je demandais si on pouvait avoir un « bai cha » (riz sauté). – « With pig or beef ? » me demanda le jeune serveur. « pig » lui répondis-je. C’était clair, non ? « bai cha with pig ». Il me regarda comme si je lui avais parlé hébreu. Dans la troisième, des convives mangeaient du riz et des légumes. Nous montrions les assiettes et faisions le signe « 2 ». OK. Nous nous asseyions et nous fut apportée la traditionnelle théière et les verres de glaçons. Et nous attendions. La matrone à son wok cuisinait sans hâte, goûtant à même la louche chaque plat avant de le servir. Au bout d’une demi-heure, lassés d’attendre notre louche, nous laissions 1 000 Riels (soit 0,20 €) pour le thé et partions. Un peu plus loin sur la route nous trouvions un stand de gamelles et quelques tables où nous avalions vite fait une assiette de riz et de légumes sans trop regarder aux conditions d’hygiène. A ce sujet, les Cambodgiens sont vraiment limites.
Nous rencontrions, à l’ombre d’un pont quelques 25 km avant Phnom Penh, un jeune couple de cyclos bretons.
Dimanche 7- jeudi 12 décembre – Phnom Penh
Nous entrions dans Phnom Penh vers 15 h en franchissant le grand « pont de l’amitié japonaise » qui enjambe la rivière du Tonlé Sap. Pas un pont dans ce pays qui ne soit dû à l’amitié japonaise ou australienne, à moins qu’il n’ait été bâti par les Khmers du 12ème siècle. Pas trop de circulation à cette heure et cela tombait bien car, si la circulation frôle le grand n’importe quoi sur la route et à Siem Reap, ici c’est rocambolesque. Ils arrivent à peu près à respecter les feux rouges, mais aux carrefours qui en sont démunis, c’est une chorégraphie hasardeuse de mobs et de voitures qui se croisent, s’enchevêtrent, se nouent et se dénouent, chacun allant là où il le désire, sans clignotant. Tout le monde a priorité et il n’y a pas d’autre règle semble-t-il que celle de ne jamais mettre pied à terre.
Quand nous sommes en ville nous avons l’habitude de nous déplacer uniquement à pied. Mais à Phnom Penh ce n’est guère agréable. D’ailleurs absolument personne ne marche. Et quand, par hasard,
nous croisons un autre malheureux piéton, c’est immanquablement un Occidental. La première cause est la circulation anarchique décrite précédemment qui ne laisse aucune place au piéton, la
deuxième est l’occupation des trottoirs par les magasins, les cantines de rues et les véhicules qui s’y garent, la troisième c'est la saleté. Phnom Penh est une ville très sale, avec des
immondices sur les trottoirs et dans les caniveaux qui finissent par pourrir et se compacter en une couche grasse, collante et nauséabonde formant comme un emplâtre à l’asphalte. Des cantines de
rues installent leurs chaises et tables là, pratiquement les pieds dans cette merde à l’odeur intenable, et cela ne semble déranger que nous.
Point positif cependant par rapport à notre précédente visite en 2007 : il y a nous semble-t-il moins de mômes estropiés montrés sur des chariots ou dans des poussettes pour apitoyer les touristes ou leur vendre des livres relatant l’épisode des Khmers Rouges.
« Lu au musée de Phnom Penh (bien pauvre ce musée) que Lakshmi massait les pieds de son mec, le dénommé Vishnou, pendant qu'il pensait à la Création du Monde ! c'est-y pas beau ? Dany qui venait de rater son dessin pense que peut-être ... un petit massage par sa doudou... Non mais. Faut que les nana massent les pieds de leurs mecs pour qu'il puissent créer maintenant ? »
Vendredi 13- dimanche 15 décembre – Kampot
Deux jours de route nous permirent d'atteindre le Sud du Cambodge, dernière étape avant le Vietnam.
A un croisement de route nous rencontrions à nouveau nos deux jeunes Bretons, David et Marie. C’était pratiquement l’heure de déjeuner et deux kilomètres plus loin nous nous asseyions tous les quatre autour du « pot » puisque c’est ainsi que la jeune femme qui nous servit appela la chose. Elle commença par apporter un petit réchaud sur la table, une marmite de bouillon, une assiette de morceaux de couenne, un plat de légumes (choux, carottes et champignons principalement), deux œufs, une petite boite de lait, tout cela, nous expliqua-t-elle, à mettre dans le bouillon. En fait les convives font la soupe eux-mêmes. Enfin arriva une assiette de minuscules lamelles de viande de bœuf à faire cuire dans la soupe comme dans une fondue. Du citron, de la sauce piquante, une louche et des baguettes… Allez ! Au boulot. En fait cela fait beaucoup de tracas et d’histoire pour une soupe très ordinaire. Mais c’est conviviale et ça dure si bien que nous en profitions pour faire connaissance avec nos jeunes amis,25 et 26 ans, ( breizhbiketrip.blogspot.com)et discuter de nos parcours respectifs. Ils nous parlèrent d’autres rencontres aussi dont celle des « cyclomigrateurs », un couple de retraités partis faire le tour du monde à vélos couchés. Hier soir nous allions sur leur site (cyclomigrateurs.com)et je m’endormais troublée par tous ces gens qui voyagent en pédalant sur cette planète. Si j’étais « coincée à la maison », j’en crèverais de jalousie.
Kampot, entourée de montagnes culminant tout de même à 1 000 mètres, ne ressemble pas autres villes cambodgiennes traversées. Premièrement il y a beaucoup d' Occidentaux (la proximité de la mer
?), des bars, une promenade le long de la rivière et c'est propre ! Pas un papier par terre ! Ils peuvent donc le faire ! Le vieux quartier avec de vieilles bâtisses coloniales à arcades, la
plupart croulantes, rappellent le Laos. Le temple et le muezzin se répondent. Les villages de pêcheurs alentours semblent être majoritairement musulmans. Le ciel très gris, le vent et la
fraîcheur (il ne fait pas plus de 30°) sont presque atlantiques et on a l’impression d’avoir changé de pays.
Signe de prospérité due au fameux poivre de Kampot et au tourisme ? Les enfants ne sont plus ici sur de vieux vélos. On les voit se regrouper pour jouer au foot ou discuter au bord de la rivière tous en mob. Certains conducteurs n’ont pas plus de 10 ou 12 ans, avec deux ou trois copains à l’arrière. L’essence coûte pourtant 1 € le litre.
Vu dans un village des mômes tout petits jouer à la pétanque. Dernier reste de la colonisation.
Nous avons retrouvé à Kampot les leurres qui attirent les hirondelles dans des bâtiments pour qu’elles y fassent leurs nids. Et elles sont légions à tourner au-dessus de certains toits, indiquant sans faillir les maisons de Chinois qui revendront les nids précieux pour faire les fameuses soupes.
Dans deux jours nous serons au Vietnam et ce sera un nouveau chapitre.
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