Istanbul, 1er thé après 30 heures de voyage
Istanbul, 1er thé après 30 heures de voyage

Comme les hirondelles…


 

Mardi 14 avril 2015 –Arrivée à  Istanbul

Rien de plus facile que d’arriver et de sortir des aéroports d’Istanbul avec des vélos. Encore emballés ils prennent place dans les bus qui, pour 3 € par personne, vous emmènent vers le centre ville.

A 18 h, comme convenu, nous sonnions à la porte de l’appartement de Kerem qui nous offrait l’hospitalité. Nous étions vannés après ces 30 heures de voyage, dont seulement dix heures de vol.

Cela se passa un peu comme chez Bernard à Vinh Long. Kerem nous montra notre chambre, la cuisine et le réfrigérateur, comment connecter l’ordinateur. Il nous fournit un plan de métro, quelques explications concernant les bus, une carte de transport et l’adresse de Décathlon, puis s’excusa de nous laisser car il avait une soirée prévue. Nous ne devions pas le revoir pendant deux jours. Il rentrait alors que nous dormions déjà et repartait le matin alors que nous dormions encore.

Nous retrouvions l’Europe, triste, habillée de noir, mais aussi le printemps. Et ça c’était très gai. Le temps était radieux, les mésanges chantaient, les arbres de Judée et les fruitiers étaient en fleurs. Dans les jardins publics, jonquilles et tulipes étaient épanouies. Les Stanbouliotes n’avaient pas encore quitté vestes et manteaux, ce qui indiquait que ce n’était que les premiers beaux jours mais il y avait du monde aux terrasses des cafés.

Dès le premier jour, encore vaseux à cause du voyage et du décalage horaire, nous prenions les transports en commun et allions chez Décathlon acheter du matériel de camping. Il allait falloir renoncer à l’hôtel et au restaurant, se remettre à la tambouille camping-gaz et coucher à la dur.

Pour trouver notre chemin et nous adresser aux passants, tous extrêmement serviables, nous devions retenir nos « kapkunka » (« merci » en thaï) devenus automatiques et sortir des « tesekkur ederim » (« merci » en turc) hésitants. Quant à « gule gule » (au revoir), ce mot me paraissait tellement comique que je le marmonnais tout bas.

Istanbul nous parut plus décontractée que lors de notre venue en juin 2013, peu après les manifestations durement réprimées autour de la place Taksim. Plutôt moins de Belphégor, beaucoup de foulards et manteaux longs mais aussi et plus encore de femmes cheveux au vent et habillées de façon tout à fait moderne. Nos achats faits nous allions flâner dans les ruelles autour du grand bazar, et ce fut le bain de foule. A Sultanhamet, entre Sainte Sophie et la Mosquée Bleue, c’était encore la foule, tout comme pour manger un sandwich au poisson sur les quais d’Eminonu, et de même le samedi après-midi sur la promenade des quais de Bostanci, tout près de notre logement. Kerem nous emmena dîner dans un petit restaurant du quartier de Karakoy, très populeux et très jeune. Et dans toute cette foule, aux terrasses des cafés comme dans les jardins publics, aux stations de bus et de ferries, sur le pont où s’alignent les pêcheurs et jusque dans les magasins, les vendeurs ambulants de thé passent en lançant leur cri : « tchaï ! tchaï ! tchaï !». Et j’appris enfin pourquoi en Turquie on ne boit quasiment pas de café turc. Lors de la perte du Yémen en 1912 le café devint extrêmement cher en Turquie et le peuple se mit au thé qui devint la boisson nationale. Chaque Turc en boit au moins quatre ou cinq tasses par jour, très fort et très sucré. Il faut dire que la Turquie produit son propre thé. 

Istanbul est complètement saturée de piétons comme d’automobilistes avec ses 17 millions d’habitants et Bangkok nous sembla finalement plus vivable. 

Pamukkale 


Après une nuit de bus sans dormir nous arrivions à Denizli, au pied de montagnes enneigées. Les vélos remontés et chargés, un gosleme (sorte de crêpe) aux épinards et un verre de thé en guise de petit déjeuner et nous prenions la route en guidonnant un peu à cause du poids supplémentaire du matériel de camping. Il fallait en reprendre l’habitude.

Le temps était très beau avec un petit air frais tout à fait appréciable. Je redécouvrais le plaisir de respirer après ces derniers mois de chaleur asiatique. Les cris des martinets, le chant de l’eau courante, les coquelicots dans les vergers de grenadiers et d’amandiers, les lilas en fleurs … j’aimais tout. Nous avions finalement eu raison de revenir vers l’Europe pour vivre le miracle du printemps.

Bientôt apparut la montagne de calcaire blanc qui barre l’horizon de Pamukkale. Lieu hautement touristique, le village n’est  composé  que de restaurants et d’hôtels. Le camping auquel nous nous adressions n’était qu’un petit terrain gazonné au pied d’un hôtel. Le propriétaire avait surtout envie de nous louer une chambre d’abord à 60 TL, puis 50, et enfin 40. Nous n’étrennerions donc pas notre tente ce jour là. Et ma foi, cette chambre avec réfrigérateur et balcon, porte-fenêtre grande ouverte d’où nous parvenait le bruit du vent dans les grands cyprès et le chant des oiseaux valait bien 13 €. Le dimanche après-midi Pamukkale est le lieu de promenade des habitants de Denizli, ville toute proche de 300 000 habitants. Nous allions faire un tour de reconnaissance, voir d’un peu plus près les falaises blanches. Glace, neige, calcaire ? Carbonate de calcium explique Le Routard. En tout cas leur blancheur répondait à la neige des montagnes d’en face, de l’autre côté de la plaine. Dès l’ouverture le lendemain matin nous étions à pied d’œuvre. Et c’est bien l’expression qui convient puisque c’est pieds nus que l’on doit suivre le parcours sur cette surface éblouissante, striée d’innombrables veines et réseaux gravés par l’eau qui ruisselle. Elle n’était pas chaude au départ cette eau dans laquelle nous pataugions, mais plus nous montions vers le sommet de la falaise vernissée, plus elle tiédissait. Tout en haut ce fut une vaste terrasse herbeuse, assez vaste pour avoir pu contenir une vraie ville dont il ne reste que quelques colonnes et pans de murs et surtout un superbe théâtre. Nous passions la journée entière dans les lieux, malgré un ciel gris et un vent presque froid, aussi charmés par le murmure des vieilles pierres que par le chant du merle et de l’alouette, par les rondeurs des collines que par les méandres des bassins d’eau, par le son des sonnailles des troupeaux de chèvres que celui de la course des ruisseaux.

Nous faisions confiance à Garmin pour nous éviter une portion de grande route et trouver un raccourci. Résultat : il nous fallut rouler la plupart du temps sur de la piste, traverser deux rivières pieds nus dans l’eau glaciale en poussant les vélos pour parcourir 19 km en 2 h 30, au lieu de 22 km sur route si nous avions suivi les panneaux routiers. Nous n’avons évidemment pas pris de photo lors du passage le plus scabreux, bien trop occupés pour penser à sortir l’appareil.

Cela nous permit cependant de traverser plusieurs villages agricoles. Les femmes portaient toutes le pantalon bouffant à fleurs et le foulard. Les hommes âgés étaient regroupés à la terrasse du café, vêtus du veston gris sur le pull de laine et coiffés de la casquette, costume d’une autre époque. Les autres étaient sur leurs tracteurs ou menaient des troupeaux de brebis ou de vaches. Heureusement il faisait un temps superbe bien que très frais. Le ciel ne se couvrit que vers midi et il tomba même quelques gouttes alors que nous déjeunions sur le trottoir d’une gargote qui ne comptait que deux tables. Nous roulions ensuite plein ouest pendant 60 km dans une plaine toute plantée de vergers d’agrumes, grenadiers, figuiers et oliviers. Au Nord et au Sud les monts s’élevaient à plus de 1000 mètres. 

Aydin, nous avions rendez-vous au Burger King de la Beledyési qui s’avéra être la mairie. Kery et Onur arrivèrent à vélo et nous les suivions bientôt jusqu’à leur appartement dans un quartier calme.

Kery et Onur font partie des quelques 6 millions de Juifs qui vivent en Turquie. Ils se préparent à tout laisser tomber pour aller vivre en Israël, « où tout devrait être plus facile » (sic Onur). Kery, elle, doute un peu mais est tout à fait d’accord pour changer de vie. D’ici deux semaines ils doivent laisser leur appartement, vendre leurs quelques meubles et partir pour un voyage à vélo en Géorgie avant de prendre l’avion pour ce qui sera peut-être leur nouveau pays.

En attendant, ils étaient ravis que nous soyons arrivés de bonne heure car ils devaient aller à leur cours de chant du mercredi soir. De 6 à 9 heures ils répètent avec une vingtaine de personnes un concert de chants traditionnels  qui doit être donné en public début mai. Nous les accompagnions et découvrions ainsi combien la musique traditionnelle turque est proche de la grecque. Le def, sorte de tambourin, le ud et  la flûte soutenaient les modulations très orientales des chanteurs. Nous passions une excellente soirée et tout à fait imprévue.

Kusadasi – 60 km

Vent glacial et bonnes côtes. Nous allons devoir nous refaire des jambes et un souffle moins court. La farniente des dernières semaines se fait sentir. C’est ce dont nous nous souviendrons de cette étape qui se termina dans une ville en fête, donc dans la cohue et le bruit. Ce 23 avril c’est la Fête des Enfants en Turquie et les marmots semblent être bien récupérés par le parti politique au pouvoir. Ils défilent en brandissant des drapeaux, font la ronde autour d’immenses drapeaux ou effigies d’Atatürk d’ailleurs aussi représenté dans le pays que le roi Bumibol en Thaïlande, ce qui n’est pas peu dire. Des drapeaux sont accrochés aux balcons des appartements, recouvrant parfois deux ou trois étages tant ils sont gigantesques, aux vitrines des magasins, partout. 

Drapeaux gigantesques dans les villes turques
Drapeaux gigantesques dans les villes turques

En achetant notre billet de bateau pour Samos nous apprenions qu’il allait falloir se présenter au port dès 7h30 le lendemain matin. Quelle horreur, avec le froid qu’il faisait !  Nous nous réfugions une fois de plus dans une chambre d'hôtel. Pas facile de se remettre au camping…

La Grèce


Nous finissons d’écrire cet article sur l’ile de Samos. Premier contact avec la Grèce : alors que nous reprenions notre souffle en haut d’une côte, un homme nous fit signe de le suivre jusqu’à sa maison toute enfouie dans la végétation. Un morceau de halva et un verre d’eau en guise de bienvenue et il nous remplit le casque d’oranges tout juste cueillies sur l’arbre. « Kalo Taxidi » (« bon voyage » )

La Turquie ne fut qu’une étape de transition et nous avons l’impression de passer directement de Thailande en Grèce, deux pays tant aimés.


Nous ne laisserions pas notre place pour un empire !

« A partir d'une certaine récurrence,

la chance n'est plus un hasard, mais une qualité »

(Benoite Groult)