Essayons de voir les événements de haut...
Nous vous avions laissés alors que nous allions quitter le Vietnam. A 8 h le lundi 12 janvier, nous étions à la frontière pour nous faire racketter de 35 $ chacun et avoir notre visa. Nous signions une déclaration certifiant que nous n’avions ni nausées ni diarrhées et un employé prit notre température : 35,5 ° pour l’un, 36 pour l’autre. A cette heure matinale nous avions encore le sang froid, mais après 100 km sur les routes vietnamiennes, le thermomètre aurait certainement affiché 40° !
Et dès les premiers kilomètres au Cambodge, ce fut le calme, la campagne, des « Hello ! » rieurs. Nous savions bien que la circulation n’est pas toujours aussi fluide dans ce pays mais pour
l’heure nous décompressions.
A Kep nous déjeunions de maquereaux grillés sur le marché où aucune mob n’a le droit d’entrer. A Kampot, dîner d’un excellent et copieux curry de tofu pour 2$ par personne.
Ces 1 000 km au Vietnam, continuellement en zone urbaine et dans une circulation démente, m’avaient vraiment fatiguée et je ne voyais pas d’un bon œil l’étape de 100 km qui nous attendait encore
pour rejoindre Sihanouk Ville.
Sihanouk Ville, c’est nul. Nous le savions mais c’était une étape obligatoire pour prendre le bus qui allait nous amener jusqu’à la frontière thaï, 220 km plus à l’ouest. Et nous allions nous
féliciter d’avoir pris le bus. Quand elle n’était pas en travaux, la route était complètement défoncée, traversant la partie sud de la chaîne montagneuse des Cardamomes. A l’arrivée nous
retirions des soutes vélos et sacoches couverts de poussière. Le paysage pendant ces cinq heures nous avait paru déroutant comparé à l’environnement aquatique dans lequel nous avions vécu les
semaines précédentes. Ici la végétation était courte et sèche, sur une terre rouge où affleure la roche noire. Nous franchissions deux fleuves qui allaient se jeter tout près, dans la Mer de
Chine dont la route ne s’éloignait jamais trop. Ce même Pacifique contemplé voici quelques mois de la pointe de l’île de Chiloé (Chili) et de l’île de pâques, battu de vent et de pluie.
THAILANDE AGAIN
Nous commencions par rouler une centaine de kilomètres puis, pressés d’aller dans un petit coin de villégiature connu de nous, prenions le bus jusqu’à Bangkok, puis le train pour Prachuap à environ 300 km au sud de Bangkok, sur la péninsule Ouest du pays.
Nous retrouvions le plaisir de nous nourrir. Nouilles sautées aux fruits de mer, sticky rice et salade de papaye, potiron fourré de crème au lait de soja, mangue et riz sucré… Nous
avions envie de tout à la fois. Pourtant, après avoir mangé pendant deux mois dans des restaurants à l’hygiène déplorable, c’est à Bangkok que je devais être malade. Aussi, en avalant mon
assiette de pâtes avais-je eu l’alerte – « tu ne devrais pas ! », mais Dany ne trouvant rien à redire à part « ce n’est pas terrible », je l’ingurgitais quand même. Et je n’aurais pas dû.
A Prachuap nous prenions une chambre avec table basse et fauteuils et balcon privé, vue sur la mer. Les jours s’écoulèrent paisiblement. Petit déjeuner sur notre balcon en regardant le soleil sortir de la brume. Nous prenions notre temps, celui de lire aussi. Trois kilomètres à vélo pour aller jusqu’à la plage de Manao où nous louions, pour 10 B (0,25 €) une chaise longue à l’ombre des grands filaos. L’anniversaire de Dany valait bien cela. Nous retournions pour la troisième fois visiter le bouddha couché dans sa grotte à quelques six kilomètres au nord de Prachuap.
Joëlle arriva le samedi et nous projetions un petit séjour ensemble sur l’île de Ko Phayam.
Huit jours de repos, c’était trop ou trop peu. Nous reprenions la route sans beaucoup de courage. Pourtant, mis à part les 20 km sur la Highway, le trajet fut agréable, par des routes secondaires en très bon état et quasiment désertes, tantôt en bord de mer tantôt en pleine campagne principalement plantée de palmiers et de champs d’ananas. Sur d’immenses claies était mise à sécher la chair de la noix de coco et par endroit l’odeur de végétaline indiquait la production d’huile. Puis les cocotiers cédèrent la place aux hévéas et les plaques de caoutchouc blanches séchaient sur des étendoirs comme des serviettes. Nous nous faisions une fois de plus la réflexion que les routes, même secondaires, sont en excellent état dans ce pays.
Nous nous dirigions plein sud, une route déjà suivie il y a 5 ans alors que nous filions vers la côte Est de la Malaisie. Nous avions cette fois-ci rendez-vous dans quatre jours à Ranong avec
Joëlle qui nous rejoindrait par le bus.
Nous avons définitivement abandonné l’idée d’aller en Indonésie comme prévu. Trop de circulation dangereuse, un monde trop musulman. Avec les derniers événements, pas la peine de s’y frotter, surtout en tant que français. Dommage. Les temps changent et pas calmement hélas. ! Pour Borobudur et Bali, il fallait se décider quelques années plus tôt. L’idée se dessine de rester en Thaïlande jusqu’au printemps et ensuite de remonter en Chine. Ce voyage ne doit pas avorter.
Mais pour l’instant, allons buller sur une île…
D'île en île, de port en port, de plage en plage
Samedi 30 janvier 2015 – Ko Phayam
A 9 h du matin nous retrouvions Joëlle à l’embarcadère. Les vélos furent montés sur le bateau et les amarres levées. Nous étions à peine une dizaine de passagers dans ce « slow boat », ainsi appelé pour le différencier des « speed boats » de plus en plus empruntés par des touristes pressés. Nous devions naviguer deux heures, au lieu des 45 minutes pour les rapides. C’était sans compter avec la panne de courroie qui allait intervenir dès la première heure de trajet. Un bateau se trouvant dans les parages vint nous dépanner et nous atteignions finalement l’île de Ko Phayam avec seulement une heure de retard.
Nous enfourchions les vélos pour rejoindre la guesthouse dans laquelle nous avions réservé deux bungalows, contrairement à notre habitude d’arriver nez au vent. Joëlle nous devança sur une moto taxi. Les bungalows étaient basiques mais corrects, chacun possédant une grande terrasse très ombragée, à 50 m de la plage. Au cours de nos promenades des jours suivants nous constaterons qu’en fait nous avions, sans le savoir, choisi l’endroit qui nous convenait le mieux.
Nous nous installions puis allions voir la mer. Elle n’était pas là. Retirée à quelques 500 m au large, elle dégageait une plage de sable immense, déserte. Difficile de croire que les six
complexes de bungalows installés sous la végétation, donc invisibles, étaient complets. Vers l’ouest avançait une mangrove et vers le nord un groupe de rochers attirait déjà nos regards pour de
futurs croquis.
A ¼ d’heure de marche nous trouvions un petit supermarché, où acheter notre apéritif du soir et des fruits, et deux restaurants dont l’un faisait office de librairie d’occasion. C’était
tout ce dont nous avions besoin.
"Lundi 9 février
Petit déjeuner sur notre terrasse. Grand silence. Les oiseaux, le vent dans les palmes. Un « tako » (gros lézard autochtone) lance son cri qui s’épuise, à bout de souffle. Bonheur de traîner après la dernière tasse de café. On ne sent pas son corps. Ni chaleur, ni fraîcheur. Il fait bon, tout simplement. En France il neige. Pendant toute cette semaine nous avons pris l’habitude de prendre l’apéritif au coucher du soleil sur la plage, le cul dans le sable. La mer est alors très loin en cette période de grande marée et nous revenons d’une marche vers l’horizon. Bianca et Jean Yves nous ont rejoints et participent volontiers à notre petit rituel. Nous avions l’habitude de rentrer tôt au bungalow après souper pour lire sur la terrasse. Mais depuis que les copains sont là, le bavardage se prolonge et nous nous surprenons à rester deux heures ou plus à table sans avoir vu le temps passer. Le premier bâillement de l’un d’entre nous donne le signal de dispersion."
Mercredi 11, jeudi 12 février 2015 – Ranong
Nous avons l’impression d’avoir été arrachés de notre plage de Ko Phayam comme des huîtres de leur rocher avec un couteau.
Nous avons dit au revoir aux amis, ne sachant ni quand ni où nous les reverrons et puis sommes allés prendre le bateau de 14 h. Remontés sur les vélos, nous avons les jambes raides. Trop de natation ou trop de chaises longues ?
Dans la cantine du soir nous retrouvions des plats à prix normaux : deux fois moins chers que sur l’île, mais trois fois plus épicés.
Dans huit jours aura lieu la grande fête du Thêt – ou Nouvel An Chinois- et dans toutes les boutiques tenues par des Chinois, on lave, on frotte, on essuie, au karcher, à la brosse, au chiffon ou à l’éponge, tout, de la vitrine à la gouttière, en passant par le comptoir et le trottoir. La voiture et la mobylette y passent aussi. C’est ce qu’on appellerait chez nous le grand nettoyage de printemps.
Le 12 février était prévu depuis un mois comme jour de corvée à Ranong. Il nous fallait faire le « Run Visa ». Entendez par là aller au check point d’entrée-sortie du territoire. Passer à la
douane pour sortir effectivement de Thaïlande (tampon, photo), prendre une barque pour aller en Birmanie de l’autre côté du chenal maritime, passer à la douane pour entrer dans le pays (trois
photocopies du passeport, tampon, photo et 10 $), dire qu’on retourne tout de suite en Thaïlande (re-tampon), reprendre la barque qui prend de plus en plus l'eau, mais on a confiance les
petits gars écopent, débarquer en Thaïlande, aller à la douane – « Savadika ! (bonjour !)» - (tampon, photo). C’est bon. Nous voici avec une autorisation de séjour d’un mois supplémentaire
acquise en deux heures. Les autorités des deux pays auraient pu s’entendre pour installer leurs guitounes les unes à côté des autres, ce qui nous aurait évité deux fois vingt minutes de
navigation dans une barque pourrie. Mais le petit gars qui nous amenés n’aurait pas gagné ses 300 Bahts. A noter qu’à mi-chemin, sur un îlot en territoire birman, il y a un poste de contrôle des
passeports. Le militaire de service qui est monté dans le bateau n’avait pas l’air sympa du tout. Il a fureté un peu, demandé ce qu’il y avait dans la glacière, et puis dans cette valise.
Finalement le batelier s’est avancé vers lui, la pochette ventrale contenant ses sous bien ouverte sous sa liquette flottante. L’emmerdeur a passé la main sous la liquette – et est remonté sur le
ponton. « C’est bon, allez-y. »
Et c’est reparti. Levé avant le jour. Départ à 7 h du matin. Nous allions rouler 5 jours pour atteindre notre prochaine île ; Ko Yao Noï. Mais la route n°4 qui continue vers le sud, vers Phuket,
est bien tranquille et très ombragée, longeant de hautes collines très boisées. La première étape allait se terminer dans un décor insolite de prairies à l’herbe rase dans lesquelles paissaient
de nombreux buffles, des maisons de bois avec des enfants qui jouaient dans les cours. Il y avait des arbres morts et des bouts de bois secs un peu partout. Cela faisait penser à quelque coin
d’Australie ou du Chili habité par une poignée de colons. Le bulbe de la mosquée brillait dans la végétation entre deux collines. Nous trouvions une chambre au bout de la route, sur une plage
quasiment déserte, dans un complexe hôtelier vieillot, à l’air un peu abandonné, pour 300 Bahts (10 €). Un petit bain puis collecte de coquillages avec l’idée de les dessiner dans
l’après-midi. Nous marchions loin devant sur la plage et regardions le soleil rougir et disparaître dans la brume. Après nous avoir préparé une assiette de riz et de légumes, la gérante ferma
boutique à 20 h et nous nous retrouvions absolument seuls dans les lieux.
Depuis Ranong la route, le plus souvent en pleine végétation, fut vraiment agréable, longeant un massif montagneux. Mais le troisième jour il y eut beaucoup plus de circulation. Des accès aux
plages et des publicités pour des hôtels de luxe indiquaient la proximité de la mer. Puis nous arrivions au cœur de la station balnéaire de Kao Lak, dans la région la plus durement frappée par le
tsunami de Noël 2004. A par les nombreux « Musée du Tsunami », on n’en pouvait voir aucune trace. La station balnéaire, traversée par une route à quatre voies et grand trafic, était
aussi laide et aussi chère que toutes celle du monde entier. A force de recherche nous finissions par trouver une chambre trop chère et sans fenêtre. Notre hôtel proposait la location de ses
chambres au mois … Nous n’avions même pas envie de rester deux jours dans cet endroit ! Comme nous regrettions notre bungalow de Ko Phayam et notre plage de Prachuap !
Nous fuyions la circulation, les tarifs prohibitifs et l’ambiance de cette côte et, au lieu de poursuivre comme prévu plein sud vers la presqu’île de Phuket , nous bifurquions vers l ‘est à travers une région de basses montagnes. La route était redevenue tranquille, toujours dans la forêt.
Arrêt sur une aire de station essence pour profiter des toilettes et boire un coca. Nous nous extasions une fois de plus devant la propreté de la piste (on mangerait par terre), des sanitaires, les bancs à l’ombre pour ceux qui ne veulent pas aller à la terrasse du snack, les bougainvillées en fleurs. Et je ne trouvais finalement pas si idiot le touriste qui sortit son appareil photo pour prendre un cliché du coin toilettes tout fleuri. (désolés, pas de photo)
Mardi 17 février 2015 – Ko Yao Noï – 93 km
Nous atteignions l’embarcadère de Ta lane, au nord de Krabi, juste pour sauter dans le bateau de bois déjà occupé par quatre touristes et six femmes musulmanes. Nous voulions revenir dans ce coin pour ses pitons rocheux éparpillés dans l’eau. Maintenant, assis en plein soleil sur le ponton de bois, les vélos affalés comme aussi fatigués que nous, nous contemplions le paysage, heureux d’être là.
A noter que plus nous descendons vers le sud et plus la saison hivernale se termine, plus il fait chaud. La vie est également plus chère. La proximité de Phuket se paye.
A la tombée de la nuit – 18h45 en ce moment – les cigales se mettent à chanter pendant ¼ d’heure. Puis s’arrêtent net. Toutes. De même le matin au lever du jour. C’est le muezzin de la nature.
Et nous restions scotchés face à ce paysage de roches érodées pendant 4 jours, à dessiner, lire, rêver.
Si la traversée pour Ko Phayam avait été ponctuée par une panne de moteur, le retour de Ko yao Noï le fut par un échouage. En plein dedans. Le bateau est allé buter sur un banc de sable.
J’ai cru un instant qu’il allait falloir attendre que la mer monte pour repartir. Pas de panique, il nous restait une banane et des cacahuètes. Mais les gars nous sortirent de là à grands coups
de perches. Au moment de l’accostage à la jetée, le « caissier » de l’équipe a lâché sa sacoche pleine du montant payé par les passagers par dessus bord. C’était son problème. Nous, nous étions
arrivés et nous l’avons laissé fouiller le fond de la mer avec une gaffe. Il est possible que, vis à vis de son patron, ce soit en effet une très grosse gaffe.
Mardi 24 février- Mardi 9 mars 2015 – Ko Jum
La barque qui nous a amenés jusqu’ici était chargée de marchandises et d’une dizaine de femmes en foulards. Nous trouvions place sur le toit de la cabine, à l’ombre, avec vue imprenable sur les îles verdoyantes entre lesquelles nous naviguions. Du rivage rocailleux de l’une d’entre elles, un homme fit signe. Derrière lui, haussée sur la berge, il y avait une maison couleur béton et à l’ombre de son auvent, une femme assise en tailleur, un bébé dans un hamac et un autre petit qui nous faisait au revoir de sa main potelée. Par derrière et tout autour, ce n’était que la végétation. L’homme poussa sa mobylette sur le bateau et s’assit à côté de nous. Nous laissions la petite famille dans sa solitude.
Les quatre matrones de la gargote voisine me fascinaient Elles sont énormes ! Des tours ! Avec des pieds à la Gauguin. Même les filles qui n’ont pas plus de vingt ans. Et belles aussi, vêtues de leurs tissus bariolés de couleurs vives, comme seules des doudous africaines savent l’être.
Et il y en a toujours une justement qui fait la sieste sur banc de bois, tellement débordante qu’on a peur de la voir rouler à terre. Les Thaïs ont la faculté de faire la sieste n’importe où. Comme cette grand-mère allongée à même le sol de son magasin à l’heure creuse. Les femmes de ménage de notre resort, à l’heure de la pause entre midi et deux, dorment sur le sol de ciment de leur QG. Deux d’entre elles bavardent, allongées sur le ventre, une autre téléphone, appuyée sur un coude. Ah qu’on est bien comme ça !
Deux cyclos sont arrivés un soir dans le bungalow d’en face. La jeune femme est venue nous voir, ou plus précisément voir nos vélos. De Bali, elle dit qu’elle n’y retournera jamais. Elle a carrément détesté le trop grand nombre de touristes et vacanciers, les immondices sur les plages au point de renoncer à se baigner, la circulation, tout. Bali, c’est fini. Il fallait y aller vingt ans plus tôt.
Un jour j’ai roulé sur un long serpent vert - vivant. Je l’avais pris pour une herbe. Se méfier de l’herbe qui dort…
Nous n’avions pas envie de quitter notre plage et notre bungalow et pourtant sentions bien qu’il nous fallait bouger. De toutes façons la date butoir du 13 mars approchait, et il allait encore
falloir sortir du territoire. Déjà un mois que nous avions quitté Ko Phayam et les amis !
Nous reprenions donc une grosse barque de bois pour rejoindre Ban Laem Krut, la tête déjà dans le voyage prochain qui venait de se décider, J’avais envie de villages de vieilles pierres,
d’architecture ancienne et pourtant, en arrivant en vue du groupe de maisons de pêcheurs sur pilotis, je pensais que nos bâtisses sont bien lourdes en Europe. Ici tout paraît léger et éphémère,
destiné à disparaître après le passage de l’homme. Que restera-t-il de ces cabanes sur pilotis de bois, lorsque les hommes auront quitté les lieux ? Quelques poutres qui retourneront à la
mer et à la terre. Venise s’enfonce ! Évidement Venise s’enfonce, engoncée dans son poids de pierre ! Gageons que Ban Laem Krut, si mobile et léger, ne s’enfoncera pas ! Me manqueront aussi les
sourires des Thais, l’activité de la rue et des marchés, les gargotes sur les trottoirs, mille petites choses qui ont disparu de nos pays désormais si propres et si tristes.
Nous avons pédalé gaiement vers Krabi. Pause café sous une tonnelle de bambou. Le patron est venu échanger quelques mots et nous a souhaité bon voyage, et « Take care ».
Jeudi 12 mars 2015 – Pedang Bezar (Malaisie)
Alors que nous étions arrêtés sur le bas côté de la route, un conducteur a ralenti et nous a demande où nous allions. « Pedang Bezar ». « C’est tout droit. Bon voyage ». « Bonne journée à vous ».
En Thailande, ces rencontres sympathiques et fugaces sont fréquentes.
Nous sommes allés passer trois jours en Malaisie, histoire de pouvoir renouveler gratuitement notre permis de séjour en Thaîlande.
En Malaisie où nous avons fait des séjours beaucoup plus longs les années précédentes, ayant vu à peu près ce qu’il y a à y voir, nous n’avions pas envie de nous éterniser. Nous avons pris plaisir à manger quelques rôtis canaï – crêpes légères confectionnées devant vos yeux dans les restaurants Indiens-, avions un meilleur souvenir que la réalité de leur thé glacé, et nous enquiquinions copieusement dans des villes dénuées d’intérêt. La circulation automobile y est dense, rapide, bien que disciplinée, mais nous avions plein la tête du bruit des pots d’échappement bricolés.
Quant aux Malais, ils sont toujours aussi gentils et souriants. La population se compose d’une majorité de musulmans habillés de pantalons longs pour les hommes et robes longues et foulards pour les femmes et de chinois en shorts et même mini shorts pour les chinoises. Les mosquées sont aussi vides de fioritures que les temples chinois sont surchargés de dieux et démons colorés. Chaque peuple à ses marchés, sa nourriture, ses quartiers, sans se mélanger. Et puis il y a les Indiens à la peau très brune qui se fondent plus facilement dans la foule malaise, avec leurs femmes aux brillantes chevelures et parfois vêtues de saris et qui tiennent des restaurants fréquentés par tout le monde.
De retour en Thailande, nous passions devant un temple très kitsch. Les chinois se prenaient en photo devant le bouddha géant et nous faisions comme
eux.Le dieu obèse et grassement heureux de la prospérité tendait son nombril dans lequel il suffisait de jeter une pièce pour être riche sa vie durant. Lui, en tout cas, était prospère, récoltant
également les pièces perdues. Quel contraste avec les mosquées vides comme des salles des fêtes avoisinantes !
Il fait maintenant vraiment chaud (35-38°). Impression qu’on nous souffle de l’air chaud à la figure. Nous n’avons plus beaucoup de courage pour pédaler par cette chaleur. Nous voici revenu ce jour, par le train de nuit, à Prachuap, 600 km plus au nord. Notre voyage risque de se transformer en un séjour de retraités pour les trois semaines qui nous restent à vivre en Thailande. Le rythme plage et sieste nous convient bien par ces températures.
Ensuite ? Eh bien un rebondissement est prévu ! il faudrait voir à ne pas s’encroûter !
Et n'hésitez pas à nous donner de vos nouvelles ! Nous aurons moins l'impression de parler dans le vide.
Vendredi 20 mars – Prachuap (par train de nuit)
Lors de l’enregistrement des vélos à la gare de Hat Yaï il y eut un différent entre nous et l’employée. On voulait nous faire payer ce que nous avions déjà réglé, reçu à l’appui. Je n’arrivais pas à me faire comprendre. J’allais au guichet de l’information demander de l’aide à l’hôtesse qui parlait un Anglais parfait et je finis par faire reconnaître mon bon droit. Mais la scène avait quelques chose de comique avec ses moult « No ! No ! » et « Hon ! Hon ! » thaïs et se termina par des courbettes, mains jointes et sourires de tous les protagonistes, moi compris. Cela aurait valu un film.
Nous retrouvions Prachuap en pleine fête pour une bonne semaine, là, juste nous nos fenêtres. Les hôtels affichaient complets. Mais nous avons pu tout de même nous réinstaller dans notre chambre
avec balcon et fauteuils. Deux mois déjà, jour pour jour, nous étions ici ! Qu’avions-nous fait pendant ces deux mois ? De la farniente dans les îles. Sympa. Très sympa même ! Mais nous lisions
les blogs des autres voyageurs, notamment en Amérique latine, et je commençais à être jalouse de leurs découvertes. Il était temps que nous quittions ce climat lénifiant.
C’était le printemps ici aussi. Le long de la route nous avions vu ces jours derniers des flamboyants, jacarandas et albizias, frangipaniers en fleurs. Les cytises étaient surchargés d’abondantes
grappes jaunes et d'autres arbres dont nous ne savons pas le nom.
Donc, c’était la fête à Prachuap mais l’ambiance était bon enfant, très kermesse, et chaque soir à 22 h tout était fini. Nous dînions sur le bord de mer à l’un de ces restaurants éphémères de
plats de poissons ou fruits de mer souvent beaucoup trop épicés.
Le dimanche il y eut foule sur la plage d’Ao Manao. Entendons-nous bien. Comparé à n’importe quelle plage française en période estivale, ici c’était le désert. Cependant je n’y avais jamais vu
autant de monde. C’était le jour des Thaïs et, comme par hasard, il n’y avait pratiquement pas de farangs en maillot. Car toutes ces petites familles, dont la majorité
vient s’offrir un repas sur la plage et quelques bouteilles de bière ou de Whisky, tous ces enfants qui jouaient et s’ébrouaient comme des chiots dans les flots, tout le monde donc était habillé.
Short, tshirt, casquette même une fois dans l’eau, il ne viendrait à l’idée de personne de se mettre torse nu, encore moins de porter un de ces maillots deux pièces vendus en ville et sans doute
exclusivement aux Occidentales
Que ce soit sur la plage ou le soir dans les restaurants du bord de mer, je m’amusais à regarder avec quel sérieux et quel plaisir grave les Thaïs mangent. Les femmes surtout se nourrissent avec application et copieusement comme si elles faisaient provision pour les jours suivants. Pour ces agapes du dimanche ou de jours fériés, autour de tables surchargées de mets, de véritables fortunes – relatives au niveau de vie du pays bien sûr- sont laissées par les couples et les familles. Nous avons l’impression de les voir manger tout le temps, à toute heure du jour mais aussi dans n’importe quel endroit comme si un Thaï au repos devait obligatoirement manger ou grignoter. A la sortie de l’école on peut voir les gamins et gamines s’acheter des sodas, des friandises mais aussi des brochettes de charcuterie sucrée. Depuis sept ans que nous venons en Thailande, nous avons vu le peuple s’enrober, grossir et l’obésité des enfants devenir de plus en plus monnaie courante.
A Prachuap nous avons retrouvé Joëlle qui a une chambre Chez Maggie, une guesthouse un peu routarde et vie communautaire dans laquelle nous avions nous aussi séjourné voici deux ans. Joêlle y a ses quartiers. Il est vrai qu’on rencontre beaucoup de monde dans ce jardin. Il y a, à n’importe quelle heure du jour, toujours quelques voyageurs prêts à bavarder ou échanger leurs plans et leurs expériences. Mais nous avions cette année préféré une chambre plus confortable et moins chère à l’hôtel voisin. Outre que nous y étions moins embêtés par les moustiques, nous jouissions de la vue sur la mer et les collines escarpées. Mais le fait d’être liés avec Joëlle nous permettait de temps en temps d’aller passer une heure dans cette « communauté » de voyageurs en transit et d’y faire de belles rencontres. Il ressortait de toutes ces rencontres que nous n’étions pas les seuls à souffrir du bruit. Ras le bol de ces sonos, ces basses, ce bruit auquel les voyageurs, fréquentant continuellement les lieux publics, sont exposés en permanence.
Le lundi et le jeudi a lieu, tout près de la gare, un marché de fin d’après-midi. On peut y acheter des produits frais, des fruits et des légumes, mais il y a aussi un nombre incroyable d’étals de plats cuisinés. Attention, c’est souvent très épicé ! Mais cela nous permit deux fois par semaine de composer notre repas –poisson frit ou poulet grillé, riz gluant, salade composée, mangue ou ananas – et de dîner sur notre balcon. Joëlle venait nous rejoindre avec son pique nique et son couvert. Assiettes en plastique et couverts avaient été achetés pour 1 € dans le bazar d’un Chinois.
A cent mètres de notre hôtel, à un angle de rues, deux femmes vendaient des bambous sticky rice délicieux. Elles les préparaient sur place, le riz trempé d’eau sucré et additionné de quelques haricots rouges cuisait dans les tubes de bambous sur un brasero. Devant les acheteurs la vendeuse fendait lesdits tubes à grands coups de machette impressionnants. On n’en trouvait nulle part ailleurs dans la ville et à 10 h du matin toute la production était écoulée. C’était juste à côté d’un restaurant végétarien. Le riz complet y était excellent et les plats de légumes, même si peu variés, changeaient des sempiternels fried rice chicken ou pad thaï sea food .
Quelque part sur la promenade qui longe la mer un autel abritait ce que je crus, de loin, un gros cœur brodé. Ce « Cœur Cousu » (titre d’un très beau livre de Carole Martinez) était en fait un
énorme bloc de corail devant lequel étaient déposées des offrandes fraîches. Le long de cette avenue en front de mer étaient déchargées chaque matin les caisses de petits calamars capturés la
nuit par les barques de pêche à quelques encablures de la plage. On les retrouverait dans nos assiettes desea food, ou bien séchées, aplaties, passées dans une machine comme utilisent
les Italiens pour faire les pâtes, et vendus accompagnés bien évidemment d’une sauce très pimentée par des femmes qui poussaient leur carrioles décorées des guirlandes dorées de ces pauvres
bestioles dont les Thaïs sont si friands.
Nous poussions un matin jusqu’au port de Khlong Wan à quelque quinze kilomètres au sud. Il y a là une flottille de chalutiers et les lignes et les couleurs croisées des cordes, des mâts, des
antennes et le bazar qui règne sur les ponts me donnent toujours envie de dessiner. Impossible cependant de s’installer, les bons angles de vue étant en plein soleil. Les équipes d’hommes à la
peau sombre dépouillaient les filets de leurs prises. Nous avions vu ailleurs des tonnes de tout petits poissons capturés, ramassés carrément à la pelleteuse et nous demandions bien qu’elle était
la finalité de cette pêche intensive. Internet et Wikipédia nous donnèrent la réponse. Tout allait finir en farine pour nourrir les crevettes d’élevage. La Thaïlande en est le premier producteur
mondial. 300 000 personnes travaillent dans l’industrie de la pêche thaï, et 80 pour cent seraient des esclaves, maltraités , Cambodgiens ou Birmans en situation irrégulière. Les
crevettes de notre rice sea food nous semblèrent du coup moins savoureuses.
Le 2 avril la Princesse eut 60 ans. Aussi le violet étant sa couleur, drapeaux et banderoles de cette teinte fleurirent les villes, temples et bords de route. Des polos mauves emplirent également
les magasins et des photos de ladite Princesse à tous les âges de la vie furent mises en évidence.
Le 8 avril les préparatifs et aménagements de la plage commencèrent en vue de la grande fête de fin d’année, Songkran. Le nombre de chaises et parasols à louer fut multiplié par deux. Des câbles électriques tirés vers la plage ne nous annoncèrent rien de calme et le lendemain un podium était dressé sur le sable, bientôt entouré de stands en toile. Nous avions l’habitude de quitter la plage en début d’après midi mais les alentours moins propres que les semaines précédentes prouvaient qu’il y avait eu et qu’il y aurait sans doute encore beaucoup de monde en soirée. Le volume de la sono d’animation avait monté d’un cran. L’avant dernier jour de notre séjour des pick up arrivèrent, la plate forme arrière garnie d’enceintes, volume et basses au maximum. Nous prenions la fuite. L’endroit, qu’en bons colons nous avions décrété notre depuis trois semaines, était réinvesti par les natifs. Il y avait maintenant trop de monde, même en ville. Nos vacances se terminaient, celles des Thaïs commençaient. Il fallait leur céder la place.
Songkran, la fête du Nouvel An thaï, donne lieu à maintes cérémonies officielles et religieuses et des festivités tout au long des cinq jours fériés, du 11 au 15 avril. Cette période est l’occasion de se réunir en famille ce qui provoque d’énormes embouteillages et la prise d’assaut des transports publics. C’est l’occasion pour les bonzes de recevoir leurs étrennes et traditionnellement une robe safran neuve. C’est aussi l’occasion de la Fête de l’Eau. J’écris ceci avec, devant les yeux, la reproduction d’une de ces fresques Lanna qui racontent naïvement les épisodes de la vie quotidienne, en l’occurrence cette fête de l‘eau. Sur l’image des enfants s’arrosent avec un bol, un amoureux asperge la jeune fille de ses rêves. C’est charmant et amusant. Dans notre société sans retenue, ce n’est plus avec un bol ou un pistolet à eau que l’on arrose les passants mais avec des seaux d’eau glacée – ne pas oublier qu’il fait 40° à l’ombre !- et, tant qu’à faire, teintée parfois de poudres colorantes. L’alcool aidant – qui n’est pas jeté mais bel et bien ingurgité – l’ambiance dégénère de bonne heure. Nous n’avons jamais assisté à cette fête mais les récits des Thaïs ou des farangs (étrangers) présents sont suffisamment éloquents. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas passer par le centre de Bangkok et de prendre un bus direct pour l’aéroport, départ de Hua Hin.
Le vendredi 10 avril nous rendions la clef de notre chambre avec balcon où nous avions habité pendant trois semaines, chargions les sacoches et de grands cartons d'emballage qui dépassaient tellement du porte bagages arrière qu’ils transformaient nos vélos en Long Vehicles. Nous passions embrasser Joëlle qui allait rester encore un mois à Prachuap et nous rendions à la gare. Là il y eut un petit moment de stress quand l’employé nous demanda d’attendre une vingtaine de minutes qu’on lui confirme par téléphone la possibilité de mettre les vélos dans le train, et enfin nous partions pour Hua Hin, première étape de notre voyage de retour vers l’Europe.
10 avril – Hua Hin (par le train)
Hua Hin est exactement le genre d’endroit que nous détestons. Bars, Bordel, Bibine et Bruit à outrance. C’est à vomir de vulgarité. Et nous découvrions avec soulagement que la chambre
réservée par Internet se trouvait dans un quartier calme, dans une maison d’hôtes de six chambres seulement tenue par des particuliers.
Demain dimanche nous serons à Bangkok dans un hôtel retenu tout près de l’aéroport et lundi, 1er jour de l’année thaï 2559, nous nous envolerons pour Istanbul où nous arriverons en l’année 1436
de l’hégire.
Plus de 1000 ans d’écart ! Qui parle de décalages horaires ?
Pour en finir avec la Thaïlande, le jour de Songkran, le nouvel an thaï, la coutume veut que l’on porte une chemise à fleurs. De cette fête nous ne vîmes ni n’entendîmes rien de
notre hôtel en zone aéroportuaire mais notions avec amusement que tous les employés de l’aéroport, y compris les douaniers, portaient des chemises à fleurs. Cependant, pas de photos possibles. A
la douane, ce sont les douaniers qui prennent les touristes en photos.