En Bulgarie, enfin le Danube
Samedi 13 juillet 2013
Avant d’en venir à la Bulgarie que nous venons de traverser, je voudrais encore ajouter quelque chose sur la Turquie. Savez-vous, si vous ne connaissez pas la langue turque, comment les Turcs appellent la Grèce ? Le Yunnanistan ! Pour des gens qui ont passé trois mois en Chine, avouez que c’est troublant. Et alors, comment appellent-ils le Yunnan ?
Bon. Nous voici en Bulgarie depuis presque deux semaines maintenant. Nous y avons retrouvé les routes lisses qui pédalent toutes seules (enfin quand ce n’est pas un jeu d’obstacles, les obstacles étant les trous si proches les uns des autres que ce n’est plus qu’une piste), les cigognes qui claquent du bec en famille du haut de leurs pylônes, les alouettes qui chantent comme des folles au-dessus des champs. Bref, c’est l’été européen. Les routes sont bordées le plus souvent de gros noyers, entre champs de maïs et tournesols à perte de vue.
Cela pourrait nous lasser, mais en fait, ça nous repose. Nous croisons des charrettes tirées par des ânes ou des petits chevaux. Dans ces charrettes souvent peintes en jaune se tiennent des paysans allant aux champs qui nous disent bonjour, ou des petites familles – sans doute des Roms- aux visages fermés. Dans les villages nous remarquions encore les rues adjacentes non bitumées, beaucoup de maisons abandonnées, de nombreuses terrasses de cafés et des jardins publics parsemés de bancs. De nombreuses maisons sont en ruines, des entrepôts et des usines s’écroulent, des immeubles sont défraîchis ou carrément vides. Cela donnent une image de pays à l’abandon. Sur les portes des habitations, sur les murs délabrés, sur les panneaux municipaux, sur les arbres même, sont affichés des avis de décès en nombres incroyables, avec dates et photos des défunts. Il semblerait que ces affichettes restent jusqu’à ce que le temps les ait détériorées et il y en a tellement que c’est un peu sinistre et qu’on a l’impression que les gens meurent plus qu’ailleurs dans ce pays. Et puis des bordures de fleurs soigneusement entretenues sur les trottoirs et dans les jardins publics, des groupes de villageois réunis autour de la machine à café (quand il n’y a pas de troquet), ce café consommé très fort et à longueur de journée. Les gens sont souriants, détendus, aimables, habillés très relaxe et très mode pour les jeunes, et nous renseignent volontiers. Non seulement il y a peu de voitures, mais les centre-villes et centre villages semblent désertés par la moitié des habitants au moins. Seule une poignée d’entre eux est restée, de tous âges d’ailleurs et qui paraissent vivre tranquillement, quoique chichement. L’ambiance rappelle les années 50 quand les places publiques en France n’étaient pas encore transformées en parkings, quand les enfants pouvaient encore faire du vélo dans la rue principale, quand les femmes se retrouvaient sur les bancs pour bavarder.
Seuls sur la route, pas grand monde au village
L’étape qui nous a amenée à Veliko Ternovo nous a fait parcourir le même jour 124 km avec un col qui nous a fait grimper raide pendant une trentaine de km. C’était trop, beaucoup trop. Pour les genoux, pour les fesses, pour le crâne aussi. Nous avions choisi la route qui évitait la 4 voies –pensant qu’elle serait trop fréquentée – mais aussi celle qui ne grimpait que jusqu’à 700 m d’altitude, l’autre atteignant 1 300 m. Nous ignorions que tous les camions choisissaient la même. C’est plusieurs centaines de camions qui déboulent sur cette route à deux voies seulement, sans bas-côtés pour le pauvre cyclo qui se fait raser les miches par ces 30 Tonnes lancées comme des bombes. Au restaurant en haut du col, nous faisions une pause obligatoire « yaourt bulgare » (jamais mangé autant de yaourt vendu en pot de 400 g). L’étape se termina chez un couple qui faisait chambres d’hôtes où, pour 10 € la nuit, nous avons eu une chambre avec salle d’eau privée et utilisation d’une cuisine. Tellement sympas ces gens là et la ville de Veliko Ternovo tellement intéressante que nous y restions trois jours. Dans cette ville nous retrouvions le plaisir de voir de la peinture, des sculptures, des églises orthodoxes entièrement décorées de fresques et d’icônes, de marcher jusqu’à des monastères en pleine nature.
A part ce bout de route très encombré de camions, nous avons été tout le temps pratiquement seuls pendant 300 km .
Au 3 512ème kilomètre, nous avons découvert le Danube du haut d’une colline, large, immense, à quelques 500 km de son embouchure. Il ne restait plus qu’à prendre plein Ouest. Donc nous rentrons. Reste encore environ autant de km à parcourir et quelques 5 ou 6 frontières à passer.
Sur l'autre rive, l'immense plaine de Roumanie
Pendant ces deux semaines nous avons couché à l’hôtel tous les soirs, le prix de la chambre double variant de 15 à 20 €. Nous avons d’autant plus apprécié qu’il y a eu de gros orages avec bourrasques de vent plusieurs soirs de suite. Cependant nos gamelles de pâtes ou de riz sur le camping gaz commencent à nous manquer car, si on peut manger pour 5 € à deux, ce n’est pas toujours facile de trouver quelque chose et surtout de choisir sur les menus écrits en cyrilliques.
Nous avons voulu goûter une boisson locale couleur café au lait qui, d’après l’étiquette doit être très bonne pour les enfants. De la « bosa » ? A la première gorgée je me suis ruée sur un verre d’eau pour me rincer la bouche. Dégeu… Daniel en a bu un peu plus, mais m’a bien dit qu’il n’en rachèterait pas. N’ayant pas trouvé avec quoi cela pouvait bien être fait (peut-être à base de maïs), nous l’avons surnommé « bouillie bordelaise » ou "bouilliebulga". Nous apprendrons par la suite qu'il s'agit de millet fermenté.
Ya bon la "bouilliebulga"
Demain nous quittons ce petit pays attachant bien que tristounet tant il y a de choses à faire et de ruines à détruire. Nous passons donc en Serbie. Le voyage continue et la découverte aussi.
Pour les pas plus doués que moi en géographie, ci-dessous une petite révision au sujet du Danube.
Le Danube mesure 2 875 km à partir de Donaueschingen et 3 019 km à partir de sa source. Il coule vers l’est et baigne plusieurs capitales de l’Europe centrale,orientale et méridionale : Vienne, Bratislava, Budapest et Belgrade. Il se jette dans la mer Noire par un delta qui sépare la Roumanie et l'Ukraine, le delta du Danube est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le Danube est depuis des siècles une importante voie fluviale. Connu dans l’Antiquité comme frontière septentrionale de l’Empire romain, le fleuve traverse ou longe dix pays : l’Allemagne (7,5 %), l’Autriche (10,3 %), la Slovaquie (5,8 %), la Hongrie (11,7 %), la Croatie (4,5 %), la Serbie (9,4 %), la Bulgarie (5,2 %), laRoumanie (28,9 %), la Moldavie (1,7 %) et l’Ukraine (3,8 %).
Le long du Danube serbe
Mercredi 24 juillet 2013
Dès les premiers villages Serbes, ce fut autre chose. Nous étions chez un peuple riche, si l‘on peut qualifier la Serbie de pays riche... En tout cas, les maisons sont clinquantes, il n’y a pas de ruines, les rues adjacentes sont bitumées, et il y a des voitures de modèles récents, beaucoup de voitures sur la route. Nous sommes à nouveau dans une société de consommation, les poubelles débordantes et sauvages en témoignent. Les villages sont tristes à mourir et pour un peu nous regretterions les bourgs bulgares avec leurs maisons abandonnées mais leurs massifs de fleurs. Ici les rénovations sont récentes, les maisons très grandes et l’on en est à l’époque béton et formica, fausses pierres, carrelages extérieurs muraux, coures cimentées, portails monumentaux en fer forgé. Plus de bancs ni de machines à café sur la place publique où les femmes ne viennent plus bavarder et soigner les fleurs – pensez donc, avec des maisons pareilles à entretenir, elles ont bien trop de travail ! A la sortie du premier village nous attendait une véritable nécropole. Sur 1 km de long au moins s’agglutinaient des pierres tombales noires bien brillantes, toutes plus monumentales et fleuries les unes que les autres, photos des défunts encastrées ou portraits gravés dans la pierre. Sur le bord de la route de nombreuses plaques, voire même des chapelles ardentes, indiquent une circulation automobile importante. C’en était fini de notre tranquillité.
Afin de voir le Danube un peu de l’autre rive, nous avons franchi la frontière roumaine et passions deux nuits dans une très agréable maison d’hôtes avec jardin au bord du fleuve tenue par un couple allemand-roumain (www.casaverde-orsova.ro)
Le jardin de la Casa Verde à Orsovo en Roumanie
Et puis, de retour en Serbie, rive Sud, au niveau des Carpathes et du passage des Portes de fer du Danube, nous sommes arrivés dans un endroit complètement atypique. « Un jardin Extraordinaire » créé par un sculpteur qui a parsemé son terrain de ses œuvres en bois, aménagé quelques chambres et permet aux campeurs de planter leur tente. Kapitan Misin Berg vous reçoit avec un verre de Schnaps, quelque soit l’heure, la chaleur et l’état dans lequel vous arrivez après avoir grimpé plus d’1 km pour atteindre son perchoir au-dessus du Danube. Sa femme sert des repas traditionnels et plantureux pour 5 € par personne. Et nous passions encore là deux nuits tant nous plut de nous promener entre ces sculptures et de les dessiner.
Le jardin de sculpture de Kapitan Misin Berg
Les Portes de Fer (dans les Carpathes)
Nous passions en haut d’une gorge, le Danube ayant à franchir une sorte de clue étroite, avec de superbes points de vue sur les montagnes roumaines couvertes de forêts, une énorme tête sculptée dans la roche, un petit monastère avec son église toute blanche, des bateaux de croisières, des chalets et villas de vacances. De passages étroits en gorges, le Danube s’élargit parfois jusqu’à sembler un grand lac. C’est très beau cette région des portes de Fer. Nous croisions maintenant de plus en plus de cyclovoyageurs qui suivent le fléchage de l’Euro Vélo 6, cet itinéraire qui relie l’Atlantique à la Mer Noire, de St Brévin à Constanza Et comme les Tuppin font toujours la même chose que les autres, mais à leur manière, nous ne descendons pas le Danube comme la majorité, vent dans le dos, mais le remontons, vent dans le nez, lentement, lentement, comme cette péniche chargée que j'observe de ce promontoire. Car une fois de plus, nous avons tout notre temps. Nous ne « faisons pas l'Euro Vélo 6 », nous nous promenons le long du Danube.
Un panneau « Musée Archéologique 600 m » nous interpella. Et malgré une descente si raide qu’elle présageait un retour pénible vers notre route, nous faisions le détour. Le musée Lepensky est situé au-dessus d’un site habité de - 8000 à – 5000 av. J.C. et fouillé avant la mise en eau du barrage des Portes de Fer dans les années 1965. Outre des sépultures, des poteries, des outils et des tombes, y furent trouvées des sculptures de têtes humaines très émouvantes. Pas de scènes de chasse ou de pêche, pas d’animaux, non, des têtes d’hommes. Et une fois de plus ici la preuve que l’homme à de toutes les époques eu besoin de créer, besoin d’arts plastiques. (www.lepenski-vir.org)
A Veliko Gradiste, après avoir fait une pause cornet de glace sur un banc à l’ombre dans le jardin public, nous reprenions la route en pleine chaleur, vent chaud et sec de face, à la recherche du camping noté sur la carte. Nous finissions par nous retrouver sur une allée piétonne sur berge, poussant les vélos derrière des badauds en shorts et maillots de bains, entre des baraques à bières, à frites et à bouées en plastique. Notre humeur s’en ressentit terriblement. Sur le terrain de camping, musique sortant des bagnoles, basses des animations sonores de la plage… Pour dîner et accompagner notre gamelle de riz j’allais chercher au snack du coin une saucisse grillée, grasse et mal cuite. Infâme. La radio allumée, avachis dans leurs fauteuils pliants, devant des caravanes pourries et des auvents sales, des groupes d’hommes se nourrissaient de bière conditionnée en bouteilles plastiques de 2 litres –chacun la sienne. Bouffe de merde. Ambiance de merde. Heureux voyageurs qui ne font que passer !
A 9 h du soir, l’animation nocturne, hurlante , commença et dura jusqu’à environ 2 h du matin. Et les boules Quies ne servaient pas à grand-chose. Et la nuit étoilée au dessus du Danube s’emplit du vacarme des petits hommes de merde.
Mais les Serbes sont de bons bougres en fait. Ils nous renseignent spontanément quand ils nous voient le nez dans la carte, nous font volontiers signe bonjour en nous croisant.
Depuis le début du voyage notre alimentation est composée en grande partie de céréales, de yaourts, de pain et de fromage. Nous ne trouvons plus dans ce pays qu’une espèce de pâte à tartiner pompeusement appelée FETA. Le pain, depuis que nous avons quitté la Grèce, est égal à lui-même, mou, d’une blancheur maladive et très peu nourrissant. Impossible de « casser la croûte », on « s’bourre la mie ». Les fruits, c’est fini depuis que nous avons quitté la Turquie. Nous avons bien fait d’en profiter. J’ai depuis bientôt deux mois continuellement le sentiment de manger des aliments pas bons pour moi, industriels et de mauvaise qualité. Chaque fois que nous croyons nous offrir une petite gâterie, c’est raté. Le chocolat n’a pas de goût, le miel non plus, la confiture a un arrière goût chimique. Depuis Samos pas senti une seule fois une bonne odeur de cuisine en passant devant une maison ou un restaurant. Si nous étions aux antipodes je n’en parlerais même pas, mais au cours d’un voyage en Europe, c’est décevant.
Je rêve d’un gros gâteau au fromage blanc ou d’une belle tarte aux pommes maison !
HLM pour ruches dans les champs de tournesols
Mais il ne faut jamais garder ce qu’on a sur le cœur sans le dire. Les choses, parfois, il suffit de les extérioriser pour qu’elles s’arrangent. Aussi n’avais je pas plus tôt écrit les lignes ci-dessus que la propriétaire du camping du soir nous offrait des petits pains au cumin tout frais et sortait pour nous de son réfrigérateur un yaourt de brebis.
La forteresse de Golubac
Traversée du Danube par le bac
Quant à Belgrad. Il n’y a rien à voir sinon les berges du Danube aménagées en jardins avec pistes cyclables. Nous n’avions trouvé que le Musée National à visiter, mais il est fermé pour 10 ans…
Arrivée sur Belgrade
Dans le quartier piéton de Belgrade
Nous continuons notre route vers le Nord Ouest et devrions passer en Hongrie d’ici 3 ou 4 jours.
Budapest - Vienne
Dimanche 11 août 2013
Nous vous avions laissé à Belgrade. Et nous voici à Vienne. Nous sautons les frontières à une vitesse impressionnante. Pas le temps de se familiariser avec un peuple qu’il faut le quitter pour en rencontrer un autre. Ce petit tour d’Europe est finalement très intéressant et nous pensons déjà aux prochains étés pour découvrir les autres pays de l’Est et du Nord. Tout de même, jamais vu ailleurs autant de champs de tournesols, à perte de vue. Les grandes plaines de Hongrie ne sont plus foulées par les Magyars à cheval.
Pour fêter l'arrivée en Hongrie par 43 °C
Dans les grandes plaines de Hongrie
Pas un jour sans son petit événement. A Beska un grand bonhomme serbe de 74 ans nous racontait en Français, tandis que nous faisions la pause café, l’histoire des anguilles de la Mer des Sargasses en commençant par l’Atlantide et les écrits d’Aristote. Il y a aussi les rencontres des cyclos qui descendent le Danube, des gens qui font les choses dans le bon sens, pas comme nous. Un Norvégien qui espérait bien atteindre la Mer Noire en une semaine – il lui restait encore plus de mille kilomètres à parcourir. Un couple d’Espagnols qui espèrent bien faire un San Sebastian – Pekin dans quatre ans quand ils seront à la retraite. Ils ont envie de tout vendre et de partir. Tiens, tiens, j’en connais d’autres…
Tandis que nous déjeunions sous un grand saule sur la berge du Danube, deux pépés à vélos sont arrivés, ont enlevé la liquette, déplié sièges et table et sorti le jeu de cartes. Puis ce furent deux autres, puis trois encore, toujours à vélos, qui s’installèrent à dix mètres de nous. Sans le savoir nous nous étions mis sous l’arbre du Club. C’était plutôt sympathique leur réunion et sûrement plus agréable que dans une salle polyvalente.
Le Club
Dès après Belgrade, les villages devinrent plus animés, avec quelques magasins, et les petites villes agréables, avec ports et aires de loisirs au bord de l’eau, petits marchés où s’approvisionner. On sentait qu’une frontière n’était pas loin, que nous étions en train de changer de monde.
Et nous sommes arrivés en Hongrie. L’organisation à l’occidentale s’est précisée. Les villages sont très propres, très ordonnés, tirés au cordeau, un peu trop peut-être, avec de grands espaces verts, des pistes cyclables partout, et des vélos, des vélos dans tous les bourgs. Tout le monde fait ses courses, va travailler à bicyclette et c’est parfois dans les centres de villages comme un ballet de deux roues silencieux qui ont l’air de faire n’importe quoi. Les voitures doivent la priorité aux vélos qui la doivent aux piétons. Les Hongrois sont plutôt courtois et aimables –sauf les caissières de supermarchés-, paisibles et assez silencieux, ce qui fait contraste avec les Serbes. Les villas résidentielles sont plus nombreuses et nous voyons trace de l’inondation du mois de juin, parfois jusqu’à un mètre au-dessus de nos têtes. Les bateaux de plaisance et de croisière sont de plus en plus nombreux aussi. Maintenant que nous avons dépassé Budapest, il y a également des groupes de cyclistes avec très peu de bagages, une voiture s’occupant sans doute de la maintenance. Et une grande majorité de cyclos qui font Passau – Budapest, 800 km, avec retour en train.
Budapest - Le Parlement
Le matin nous croisons des travailleurs qui se rendent - à vélo bien sûr – le long des routes, les voies sur berges ou tout autre endroit nécessitant de l’entretien, munis de faux ou de serpes, de balais aussi.
Les Hongrois sont très matinaux, mais nous aussi avec cette chaleur. Réveil vers 5h30 car il ne nous faut pas moins d’une heure et demie, voire deux heures, pour prendre notre petit déjeuner, faire une toilette, ranger les sacoches, plier la tente et recharger les cycles. Départ donc vers 7 h 30, pause café vers 10 h et en début d’après-midi il faut trouver notre campement ou à défaut un arbre. Depuis maintenant plus de 15 jours la température flirte avec les 40 °– 43°C à Baja et 39° le soir à 21 h.
Vu, tandis que nous déjeunions au bord de l’eau sur un banc, un serpent qui venait d’attraper un poisson et après l’avoir ingurgité s’en retourner digérer dans son trou d’eau. Le Danube a l’air assez vivant, vu le nombre de gros poissons dans les paniers des pêcheurs. Pas mal de hérons et aigrettes aussi, et des grenouilles pour donner à manger aux cigognes.
Et puis nous avons passé deux jours à Budapest, petite capitale traversée par un grand fleuve. Les larges avenues sont toutes bordées de beaux immeubles gothiques, parfois colorés de rose léger, vanille ou ocre jaune, tous de même hauteur. L’opéra, la basilique, le Parlement – qui fait penser à Westminster Abbey -, et puis des banques avec des sculptures et des frises un peu lourdes. Et dans toutes ces grandes avenues, pas grand monde. Budapest, en ces jours de canicule, m’a paru une ville bien vide. Nous y avons vu une exposition d’impressionnistes, « Monet et ses amis ». Guillaumin, Pissaro, Cézanne, Gauguin, Bonnard … Ils étaient là accompagnés de quelques autres à la traîne de nationalité hongroise, influencés par les premiers. Rien à faire, les peintres français de cette époque furent les plus grands et je les revendique comme faisant partie de mon patrimoine.(cocorico !)
Arrivée à Vienne hier par un temps moins chaud et plus agréable. Vienne, c'est baroque, blanc, propre. Je n'ai pas grand chose à en dire de plus, étant restée complètement indifférente à ces bâtiments lourds comme de la crème chantilly. Donc, nous avons fait comme tous les Viennois un dimanche, à savoir pédaler sur les pistes cyclables et manger un gros gâteau au chocolat (enfin je l'ai eu mon gâteau !) et boire un café ... viennois !
Vienne, le Palace
Et des pistes cyclables qui nous font parfois faire des choses surprenantes
Pour parler d’autre chose, Microsoft m’a fait un sal coup. Il a avalé tout un mois de mon journal de voyage et me l’a recraché en « rescued document », tout en point d’interrogation. Le voyage m'enseigne encore une leçon : on ne vit pas les choses pour se les raconter. Et maintenant je fais un effort de mémoire et d’écriture pour retrouver les moments forts, les anecdotes et les émotions de notre premier mois de voyage, alors que nous pédalions en Sardaigne, Sicile et Italie. Et cela me parait déjà si loin dans le temps. Nous venons de passer les 5000 km
A la source du Danube
6 400 km au compteur depuis début avril
Mercredi 28 août 2013
Le Danube en Autriche tournicote entre des rives verdoyantes et des collines toujours surmontées de châteaux ou d’abbayes énormes et imposantes, avec de belles courbes resserrées. C’est certainement la partie la plus belle de son cours. Dans toutes les bourgades des travaux sont en cours pour réparer les digues et les levées, rehausser les murs de protection démolis par la crue de juin dernier. Jamais l’eau n’avait atteint une telle hauteur d’après les échelles d’inondations précédentes.
Inondation Juin 2013 au niveau du toit
Cependant nous n’étions pas mécontents de quitter l’Autriche et les Autrichiens jugés trop froids à notre avis. D’un seul coup les panneaux routiers ne furent plus de la même couleur, les produits dans le supermarché différents. C’est ainsi que nous comprenions que nous étions maintenant en Allemagne. Tout de même, si je ne regrette pas les postes de douane, j’aurais apprécié un panneau me prévenant que nous avions changé de pays. J’aime savoir chez qui j’erre. J’étais tellement contente de revenir en Allemagne, ne connaissant de ce pays que le Berlin du temps du mur ! Eh bien depuis 30ans que nous voyageons tous les deux nous n’avons jamais été aussi mal reçus par les commerçants et autres acteurs du tourisme. Depuis presque deux semaines que nous y sommes nous n’avons été accueillis avec le sourire que dans trois campings. La plupart du temps, nous pouvons rebaptiser les lieux « Au Sans Sourire ». Pas un bonjour, pas une parole aimable, on ne vous montre même pas les lieux où vous pouvez vous installer. C’est tout de suite la note, vous payez, et qu’on ne vous revoie plus. Il en est de même dans les boulangeries, magasins de cycles (nous avons dû racheter une béquille pour le vélo de Daniel), magasins d’alimentation, etc. Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ces Allemands et Autrichiens à faire la gueule ? Je fais pourtant assez d’efforts pour retrouver mon vocabulaire d'Allemand enfoui sous plus de 35 ans d’oubli. Certains hôteliers annoncent faire également camping. Un tout petit carré d’herbe (le pire fut une bande d’herbe de 3 m de large le long du parking), une douche et un WC dans l’hôtel , donc fermés la nuit, pas de point d’eau ni d’évier ni de poubelles, et c’est le même prix qu’un camping 3 étoiles. Avec les normes en vigueur ce genre de choses ne pourrait pas exister en France, et c’est tant mieux.
Et si j’ai été si longtemps à donner des nouvelles c’est parce que nulle part nous ne trouvons la Wifi ou une cyber base. Aujourd’hui, en insistant pour savoir où trouver internet, le gérant du camping a fini par m’avouer qu’il avait la wifi, « mais.. enfin… oui, si vous voulez… voici le mot de passe » Et moi qui croyais la France plus radin que les autres pays d’Europe ! Heureusement, les quidam sont agréables et plutôt prêts à vous renseigner même quand vous n’avez pas besoin de renseignements. Malheureusement le voyageur a plus de contacts avec les commerçants qu’avec les gens de la rue.
Le « must » en Autriche et en Allemagne c’est évidemment le réseau de pistes cyclables qui sillonne le pays. Nous avons parcouru depuis la Hongrie quelques 200 km sans être mêlés au trafic routier. Et des vélos, il y en a ! Depuis la Hongrie nous avons certainement croisé plusieurs milliers de cyclistes, car tous descendent le fleuve je l’ai déjà dit. Nous allons à contre sens et les gens qui veulent nous renseigner veulent toujours nous renvoyer en sens inverse. Les cyclos chargés de belles sacoches waterproof et de paquetages impeccables ont tous des tenues flambant neuves et personne n’a l’idée de faire sécher sa serviette ou ses petites culottes sur le dessus du paquetage. Le pique nique a l’air moins en vogue que les Bier Garten aussi ne nous disputons pas les bancs publics.
Nous ne sommes pourtant pas seuls dans la remontée du Danube et retrouvons régulièrement un jeune couple de Coréens en tandem depuis bien avant Budapest. Hier, tout contents de nous rencontrer à nouveau sur la place publique où nous faisions la pause déjeuner, ils nous ont offert deux berlingots de jus d’orange et nous leur donnions la liste des campings jusqu’à la source. Nous avons aussi rencontré un couple d’Australiens de notre âge se rendant à Paris.
Pas tout seuls sur les bords du Danube
Le paysage est joli et nous avons traversé de belles villes dans cette région de la Bavière, toujours remontant le cours du Danube. En arrivant sur Passau, c’est la surprise : que c’est beau ! Des coupoles, des flèches, des toits très hauts et pentus, des façades très tarabiscotées, baroques. Là encore les habitants semblent sous le choc de l’inondation. Toute la ville a été sous l’eau et un livre de photos est sorti sur l’événement, montrant l’ampleur des dégâts et l’on peut juger aussi de l’immense effort fourni pour tout remettre au propre le plus vite possible et sauver la saison touristique. Regensburg, Ingolstadt, Neustadt et son énorme château qui nous a littéralement barré la route et obligé à faire un croquis, Ulm avec son hôtel de ville entièrement décoré de fresques et où nous mangions un délicieux kebab (clin d’œil à la Turquie…).
Passau
Quoi ? Encore le Parthénon ? Je croyais l'avoir vu ailleurs en mai dernier !
Neubourg
Regensbourg classé par l'Unesco
Ingolstadt
cigogne de Manguen
"J'aime pas la bière !"
A Kelheim nous avons pris un bateau, avec quelques 500 autres passagers, pour passer les gorges du Danube sur cinq kilomètres. Nous apprenions ainsi que nous étions à 2 417 km de l’embouchure, le Danube étant mesuré, contrairement aux autres fleuves, à partir de son embouchure. C’était impressionnant dans ce défilé de penser à l’immense plan d’eau qu’il formait en Serbie et en Bulgarie, 3000km plus tôt.
Il n’est maintenant pas plus large que la Dordogne au niveau de Souillac et nous roulons dans une campagne cultivée et bien humide. L’été lui aussi nous a laissé tombés. Nous nous étions si bien habitués au beau temps depuis début avril. C’est déjà fini ? Les températures ont considérablement chuté et nous essuyons de bonnes averses. Au moment où j’écris, il flotte depuis deux jours. Le Danube n’est plus maintenant qu’une toute petite rivière entre des monts boisés et des falaises, serpentant dans des prairies de montagnes. Les sommets qui nous environnent atteignent les 800 m.
Ca se gâte ...
Ben où ce qu'il est ? Perdu et devenu souterrain sur 12 km
Nous allons maintenant descendre un peu vers le Sud pour rejoindre le Rhin et le suivre jusqu’en France. Nous serons alors « cheuz nous », pourrons aller manger une assiette de légumes chez Flunch et nous arrêter le soir dans des petits campings municipaux où nous trouverons le panneau « Installez-vous. Nous viendrons vous voir dans la soirée ».
Petit bilan du voyage
Samedi 7 septembre 2013
Et au km 6 575, nous franchissions la Passerelle des trois Pays, à l’endroit où se touchent la Suisse, l’Allemagne et la France sur le Rhin, et déboulions en France, interloqués, étonnés d’être là après cinq mois d’absence, heureux de cette petite victoire d’avoir mené ce périple jusqu’au bout. Nous nous promenons maintenant sur les bords de Loire, où il fait d’ailleurs un temps de cochon aujourd’hui.
Sur la passerelle des trois pays, au dessus du Rhin
Le pont Canal de Digoin
Après le Rhin, nous avons suivi le canal du Rhône au Rhin, puis la vallée du Doubs, entre collines et gorges, prairies verdoyantes qui descendent jusqu’aux rives, d’écluses en écluses. Dommage que les écluses n’existent plus sous ce nom, mais sont maintenant des "zones éclusières". Ainsi « l’écluse de château vieux » - si elle a jamais existé – est désormais la « zone éclusière 23 » par exemple, ce qui témoigne de la poésie contemporaine dans laquelle nous vivons.
Passage d'une "zone éclusière"
A Montceau-les-Mines nous étions accueillis chez Daniel et Annie d’une façon merveilleuse, comme si nous étions de vieux amis contents de se revoir. Ils prévoient, pour leur cinquantième anniversaire de mariage en 2014, une traversée des Etats-Unis et de l’Amérique du Sud. Un voyage de deux ans à vélo et sous la tente. Voilà des gens qui donnent la pêche.
Petit bilan du voyage
Cette balade en Europe du Sud et du Centre fut très intéressante et nous donne tout simplement envie de continuer à découvrir les autres pays européens. Evidemment nous avons eu des ressentis, des impressions plus ou moins agréables suivant les pays traversés. Je dis bien "ressentis" car il est hors de question de vouloir analyser quoique ce soit. Chaque voyageur a ses propres réactions suivant ses rencontres et son vécu au quotidien.
Depuis début avril nous avons franchi huit frontières et frôlé, trop rapidement sans doute, huit peuples et mentalités différents.
Ce que nous avons vu de plus beau pendant ce périple se situe incontestablement en Turquie, et je veux parler bien sûr des sites antiques de la côte égéenne et de la Cappadoce.
La Bulgarie nous a touchés, tout au moins l’expérience humaine vécue au contact de ce peuple si pauvre mais si fier et courageux
En Hongrie nous retournerions volontiers aussi pour en découvrir un peu plus. Nous nous y sommes sentis bien.
L’Italie du sud n’a pas su nous séduire et nous a donné l’envie d’aller voir celle du Nord. (commentaire de Daniel à la lecture de cette ligne : « on n’y remettra pas les pieds ! »)
Et enfin, mais ce n’est pas une surprise, la Grèce est belle et les Grecs restent les plus généreux et accueillants des hôtes et nous y retournerons bientôt c’est sûr.
L’Autriche et l’Allemagne sont décidément très propres et les pistes cyclables bien pratiques.
Et la France ? Eh bien nous y avons retrouvé le sourire de ses commerçants – et des caissières des supermarchés ! -, une alimentation de bonne qualité bien que chère, les petites routes départementales si agréables à parcourir à travers les campagnes, mais aussi les animations sonores des week-ends, les merdes de chiens et les chiens qui gueulent derrière les clôtures et le désagrément de comprendre tout ce qui se dit autour de soi. (A l’étranger, ne pas tout comprendre permet d’échapper à beaucoup de sottises et de vulgarité). J’oubliais les vaches dans les prés. J’aime voir les vaches dehors. Tout est décidément trop bien rangé en Allemagne.
Nous avons longé le Danube pendant plus de 3 000 km, le quittant, le retrouvant, le traversant sans cesse. C’était comme un fil qui nous tirait vers l’Ouest. Le balisage de cet itinéraire vélo nous a fait joué au jeu de piste – et même à colin maillard – et fut parfois lassant. Nous aimons choisir nos petites routes nous-mêmes finalement. Malgré les grandes étendues de tournesols et maïs, surtout jusqu’en Autriche, nous ne nous sommes jamais ennuyés. Le parcours en Autriche est beau mais la partie allemande n’a pas grand intérêt, peut-être parce que nous sentions déjà la fin du voyage. C’est tout de même merveilleux de traverser l’Europe d’Est en ouest, ou le contraire, librement, à vélo, le nez au vent et au fil des fleuves.
Le Danube en Bulgarie, large, très large
Le Danube en Allemagne, à environ 50 km de sa source