Notre programme : dé-programmer.
Notre anagramme : liberté.
L’errance est l’ultime refuge de notre mémoire future.
Elle seule vous permettra sur le seuil des espaces à naître, de dormir dans le chaud des mythes, plein de villages sous les paupières. » (Jacques Lacarrière)
Retour en pays connu
Lundi 1er septembre – camping Vrachos – Kastraki - Grèce
Après avoir traversé une petite portion du territoire albanais, nous arrivions en Grèce le 20 août.
Passage de la frontière sans difficulté. Pourtant il y avait une bonne file d’attente, mais dès qu’un douanier nous repéra, il nous fit signe de passer devant tout le monde, nous prit nos passeports. « Première fois en Albanie ? It is Beautiful ? – Je m’empressais de répondre « Et les gens sont tellement gentils ! ». Côté entrée en Grèce, ce fut pareil. Nous doublions toutes les voitures et repartions avec un souhait de bon courage.
Dès nos premiers tours de roues en Grèce, je m’exclamais : « C’est vraiment beau la Grèce ! » Nous roulions dans un paysage de montagnes arides mais avec de grands beaux arbres au niveau de la route. La route descendait doucement et je ressentais une exaltation et une joie semblables à celles procurées par certains paysages du nord de l’Argentine. Des panneaux « Attention Ours et loups » m’impressionnèrent fort. Encore un prétexte pour ne pas faire de camping sauvage. 20 km avant Kastoria nous bifurquions vers un petit village afin de trouver un endroit à l’ombre pour déjeuner. Et tandis que nous mangions sur un banc public, une femme vint vers nous offrir des tomates, concombres et poivrons de son jardin. Impossible de refuser. J’en profitais pour lui demander de l’eau fraîche.
Nous atteignions Kastoria dans l’après-midi, non sans nous être retrouvés sur l’autoroute, déserte il est vrai. Dès l’entrée de la ville, nous avisions un magasin de cycles et allions demander s’il était possible de réparer mon garde-boue avant qui ne tenait qu’avec du scotch. Le vélociste s’occupa de nous toute affaire cessante, passa une bonne demi-heure à chercher le bon boulon, et quand il fut question de le payer nous fit signe qu’il ne voulait rien. « Kalo taxidi ! (Bon voyage) ». Ces Grecs sont impayables ! Ils ne feront jamais fortune ! Et décidément quel accueil dès le premier jour dans leur pays. Dommage que tout soit si cher. Il nous fallait maintenant multiplier au moins par deux le prix des hôtels par rapport aux pays précédemment traversés.
Grevena
Belle étape de 70 km, tantôt sur l’ancienne route nationale doublée désormais d’une autoroute, donc déserte, tantôt sur une petite route de campagne, de collines en collines cultivées de blé, écrasées de soleil. Dès 11 h du matin les thermomètres affichaient 30-34 °. Nous arrivions trempés de sueur sur la place centrale de Neapoli. C’était jour de marché. Il y avait des camions de pastèques, de poules, de fruits, d’oignons et d’ail… Le vieux pope allait et venait semblant compter ou surveiller ses ouailles. Je laissais Dany avec les vélos près d’un banc à l’ombre et partais à la recherche d’un boulanger. Lorsque je revins avec deux pains aux raisins et à la cannelle, je trouvais Daniel une grosse tranche de pastèque à la main. Le marchand était en train de m’en préparer une portion. Cadeau. Sucrée et juteuse, c’était un vrai délice. Exactement ce qu’il nous fallait pour nous refaire une santé. La pause suivante fut celle du déjeuner sur la place d’un village agricole. Un homme sortit de son jardin avec un sac en plastique contenant des tomates et des poivrons. Cadeau. Incroyable. Avec des olives et de la féta notre repas du soir sera encore assuré. Sur la route, les conducteurs nous font signe bonjour, le berger qui fait traverser son gros troupeau de chèvres nous demande d’où nous venons, où nous allons, celui qui garde ses brebis nous fait un signe lui aussi. C’est sûr, les Grecs sont plus expansifs que les Bulgares.
Les Météores
La route promettait d’être difficile, mais, même avec plus de 30 km de côte, nous arrivions plus vite que nous le pensions aux Météores. Revenir dans ces lieux 26 ans plus tard, à vélo qui plus est, était très émouvant. Ces énormes pitons rocheux, ces falaises lisses et grises, ces monastères hauts perchés et leurs superbes fresques étaient toujours aussi impressionnants. Ce qu’il ne fallait surtout pas, c’était essayer de retrouver les traces du passé. Nous avons vécu là, entre 1983 et 87 sans doute les rencontres les plus fortes de nos voyages.
Voici dix jours que nous sommes dans ce même camping où nous étions venus de si nombreuses fois. En passant devant les tentes et les camping-cars où chaque famille ou couple discutent à voix basse si calmement, je ne peux m’empêcher de penser à l’ambiance des campings Argentins. Nous étions vraiment chez des fous l’hiver dernier. Nous avons pris le rythme de partir chaque matin assez tôt pour être rentrés en début d’après-midi. Premier arrêt chez le boulanger pour acheter notre kouloury et nous marchons, le plus souvent seuls, à l’écart des bus et des touristes. Nous notons les rénovations et agrandissements effectués sur les monastères et les ermitages ces dernières années. Des travaux se poursuivent encore, en respectant le style d’origine. L’été se termine et nous retrouvons le plaisir de l’automne en Grèce : le chapardage des figues mûres dans les chemins et par-dessus les murets. Vu ce matin les premiers colchiques. Les tortues nous occupent de longues minutes aussi. Elles se signalent par le bruissement des feuilles sèches qu’elles dérangent. Pendant toute cette semaine la température a flirté avec les 37°. Un bon bain dans la piscine, déserte à l’heure du déjeuner, et nous passons l’après-midi à l’ombre des grands platanes, à faire la sieste, reprendre nos croquis, lire. Le soir nous poursuivons notre apprentissage de goûteurs d’Ouzo.
Nous devrions reprendre la route demain pour rejoindre Igoumenitsa, avec tout de même un col à passer à 1 700 m, et prendre un ferry pour Corfou.
Metsovo - 70 km
9 h du matin. Assise sur le balcon de notre chambre d'hôtel, en plein soleil, face à la montagne. De ce balcon je voyais le col et le plateau par lequel nous
étions arrivés la veille au soir. 1 700 m. d’altitude, soit 1 450 m à grimper en 50 km, avec des pointes de 11 à 15 %. Rarement fait une étape aussi difficile. De plus, après ces dix jours de
vacances aux Météores nous avions perdu l'entraînement et les vélos nous semblaient bien lourds.
Nous sommes arrivés dans ce petit hôtel de Metsovo, où nous étions apparemment les seuls clients, à 18 h, épuisés. Nous étions partis 9 h plus tôt. Tout au long du parcours nous n'avons cessé de
voir, en arrière, les rochers des Météores se dresser dans la plaine, et nous les regrettions déjà. Quelques jours dans un décors naturel grandiose et il vous possède au point qu'on a
l'impression de trahir en le quittant. A partir du km30, là où la route nationale rencontre l'autoroute qui file sur Igoumenitsa vers l'ouest et quasiment jusqu'à Istanbul vers l'est, l'ancienne
route est tout simplement fermée, interdite. La route est désaffectée et le manque d'entretien devient critique. Encore deux hivers de neige et il en manquera de grands morceaux tombés dans le
ravin. A 1 500 m il se mit à faire frais et le vent, que nous avions en pleine face bien entendu, se mit à souffler par rafales. En haut du col nous enfilions gilet et veste avant d'entamer la
descente, frigorifiés. Je regrettais d'être si fatiguée et pressée d'arriver. J’aurais voulu pouvoir mieux contempler ce grand plateau d'alpages jaune d'or avec un lac turquoise un peu plus loin,
le gros village de Metsovo en dessous, enfermé par les hautes montagnes dénudées. En franchissant le col nous étions entrés en Epire et les sommets nus étaient encore éclairés par le soleil. Nous
étions trop las pour aller visiter le village dans la soirée et décidions de rester la journée du lendemain.
Nous marchions dans les ruelles toute la matinée, entre les grosses maisons de pierres qui se sont multipliées ces dernières années. Beaucoup plus nombreux aussi les hôtels, restaurants, bars et marchands de souvenirs. Mais dans l'ensemble le centre de Metsovo n'a pas trop changé, si ce n'est les voitures qui envahissent désormais l'espace et ôtent une grande partie du charme de la place dallée et de ses platanes pluri centenaires. On peut voir encore des vieilles femmes tout en noir avec la natte de cheveux gris dans le dos, mais pas un flokati (tapis de laine à longs poils typiques du nord de la Grèce) s'aérant aux balcons, pas un métier à tisser sur une terrasse, plus un mulet ni même un crottin dans les calades. La vallée est désormais barrée par le viaduc de l'autoroute qui a peut-être amené des touristes grecs mais écarte les étrangers de cette halte quasi obligatoire qu'était Metsovo. Dans l'après-midi il se mit à pleuvoir et nous rentrions lire dans notre chambre. Soudain, à 1000 m d'altitude, c'était l'automne.
Ioannina - 60 km
Il pleuvait sur Ioannina. Le feuillage des platanes de la promenade prenait déjà des teintes rousses. Le lac était gris et les hautes montagnes au nord à travers lesquelles nous étions arrivés étaient masquées par de lourdes nuées noires. Après une nuit totalement blanche causée par une animation musicale de 23 h à 6 h du matin(la nuit suivante fut d’ailleurs identique) , nous partions à pied redécouvrir Ioannina. Déjà en 86 c'était une ville animée. Or, dans notre monde, une ville animée se résume à une ville congestionnée par la circulation automobile. Eh bien Ioannina est en cela très animée. Nous flânions sur les bords du lac, dans la citadelle et autour de la mosquée, à travers le vieux quartier qui se transforme avec les restaurations en un quartier privilégié. Les rues du vieux bazar sont désormais piétonnes et ne desservent plus que des bars - plus un kafénéion - et des boutiques de mode. Nous trouvions cependant encore deux échoppes de tailleurs, une de ferblantier et puis les boutiques d'objets en cuivre qui ne s'adressent plus qu'aux touristes. Plus un marchand de tapis bien sûr, plus un seul garçon de café qui se serve encore du plateau grec à anse suspendue, si stable et si pratique. En fait, le seul artisanat grec florissant est celui du tag.
En revenant sur ces lieux, la chose est désormais certaine : la Grèce que nous avons connue et tant aimée n'est plus qu'un souvenir. Nous sommes déçus aussi par la saleté. Les Grecs ne savent plus remporter les déchets de leurs pique-niques et bouteilles et plastiques jonchent le moindre parking.
Ce pays restait avant tous les autres celui où nous aurions aimé vivre. Fini. Nous reviendrons en Grèce avec plaisir, pour son climat, la gentillesse de ses habitants, ses paysages et ses sites antiques, mais sans désir désormais de lui appartenir. Là aussi nous avons cassé un mythe. Quand, à force de voyages et de nomadisme nous les aurons tous enterrés – nos mythes - , nous nous isolerons dans une maisonnette, à l'écart, avec nos livres. Mais il reste encore tant de lieux à voir et revoir !
Igoumenitsa - 100 km
La route, la "vieille route" comme l'appellent les Grecs pour la différencier de l'autoroute que personne, sauf un touriste, aurait l'idée de ne pas prendre, traverse de superbes paysages de montagnes de moins en moins hautes, de plus en plus rondes. Cette portion est d'ailleurs plus habitée qu'en amont et nous y verrons, accrochés à des versants ou sur des crêtes, des villages aux toits neufs, reliés à l'axe principal par des pistes aux dénivelés effrayants. Nous arrivions à Igoumenitsa dix heures après être partis de Ioannina, fatigués par le dénivelé, par les taons aussi qui nous avaient persécutés tout au long d'un col. Ils nous piquèrent à travers le Tshirt malgré nos gesticulations de possédés tout en pédalant. Mais en arrivant en bord de mer, ce fut la récompense. Il faisait bon. Nous trouvions un camping très calme - ce qui ne devait pas avoir été le cas la veille au soir, en plein week-end de pleine lune. Nous plantions la tente sous les eucalyptus à la bonne odeur, prenions une douche puis allions boire notre Ouzo sur la plage, avec Corfou à l'horizon.
Cette traversée du massif du Pinde, en trois étapes, même si un peu difficile, fut très belle, et importante aussi. Je m'en étais fait une montagne, c'est le cas de le dire, et me voici rassurée. Je peux, nous pouvons le faire, même avec les vélos chargés. A quand le Tibet ?
Corfou
Le bac, au bout de deux heures de navigation très lente, approcha enfin de Corfou. Nous avions eu le plaisir de voir quelques dos de dauphins, assez éloignés
tout de même du bateau. La mer était d'huile mais de grosses nuées orageuses coiffaient le nord de l'île et le sommet du Prophète Ilias qui pointe à 900 m d'altitude. Nous doublions la citadelle,
la ville italienne de Kerkira et accostions au nouveau port. Il serait tellement plaisant de débarquer devant les façades de la vieille ville et, sac à l'épaule, de se laisser perdre dans
le dédalle des venelles. Mais non. On est pris dans un tohu bohu de véhicules, embringué sur une route à quatre voies sur laquelle semble être lâchée une meute de fauves motorisés, et l'on roule
déjà dans la direction opposée de la ville prometteuse, vers des stations balnéaires idiotes, en quête d'un camping, comme si c'était là que nous, touristes, nous devions être parqués, là
seulement que nous trouverons notre bonheur.
Enfin, le camping Dionysos, à dix km au nord de la ville, n'était pas trop fréquenté puisque pas directement en bord de mer et sans accès à aucune plage. Malgré le roulement incessant de la route
toute proche, nous ne nous trouvions pas trop mal dans cette oliveraie aux superbes troncs noueux, avec une piscine pour nous seuls.
Dès le lendemain nous retournions visiter Kerkira. Mise à part la langue, nous avions bien l'impression d'avoir changé de pays. Ces immeubles aux façades habillées de volets de bois peints, les
couleurs ocre et vanille des crépis, les nombreux clochers, le labyrinthe de ruelles et le linge qui sèche en travers, c'est Nice, Menton, l'Italie. Deux énormes bateaux de croisière avaient
déversé leurs passagers et il y avait foule entre les boutiques de souvenirs. Et puis, soudain, au détour d'une venelle, on se retrouve sur une placette bien calme, qui vit sa vie de quartier à
cinquante mètres à peine de l'incessant va et vient des badauds.
jeudi 18 septembre
Entre les grosses averses orageuses qui se sont succédées ces derniers jours nous avons tenté trois sorties. D’abord nous sommes allés jusqu'à notre petite crique de Kouloura, à quelque 25 km plus au nord où nous avions joué les Robinson dans les années 80. Un peu aménagée, mais surtout trop fréquentée par les baigneurs à notre goût. Il faut dire que la crique voisine de Kalami, où séjourna Laurence Durrell de 1935 à 1939 - son nom n'a d'ailleurs pas été oublié pour attirer les Anglais - est désormais pleine à craquer de chambres et appartements à louer, comme le reste de l’ile d’ailleurs. Difficile d'apprécier la beauté de la côte derrière tous ces bâtiments dont certains sont restés inachevés, abandonnés.
Nous sommes allés également sur la côte ouest, jusqu’à Paléokastritsa avec l'idée de peut-être déménager. Mais au bout d'une heure dans ce capharnaüm qu'est devenue cette baie magnifique, nous en repartions en nous disant que, finalement, nous n'étions pas si mal dans notre oliveraie. Tavernes, bars, hôtels, boutiques de souvenirs et crique bétonnée ... Des prix encore plus délirants qu'ailleurs.
Fini les tomates de jardin si gentiment offertes, fini le pain croustillant et les gâteaux de la boulangère de Milos, fini les délicieuses pitas et les kouloury tout frais de Kastraki, fini la chambre avec balcon chez Maria à Samos qui accueille ses hôtes avec un café épais et sucré. Tout ici est surgelé, décongelé, insipide, cher et impersonnel. (on nous demandera 6 e pour imprimer notre billet d'avion !) Corfou n'est plus en Grèce.
Nous nous ennuyons ferme et regrettons amèrement de finir ce séjour en Grèce par Corfou où nous ne remettrons jamais les pieds, c'est certain.
Comme dans tout voyage, il arrive un moment où il parait consommé, alors même que nous ne sommes pas encore de retour. Nous serons en France dans quelques jours, mais avec, déjà, un autre
billet d’avion en poche.